La vie, voilà ce qu'a su capter Trier. Pas la vie dans un sens universel, mais plutôt la vie dans son essence. Julia est comme un aimant, elle est électrisante. On tombe irrémédiablement amoureux de son personnage en 3 séquences d'introduction. Le rythme est spécial, rapide, la musique va fort, tu es entourée de plein d'autres personnes dont les yeux sont rivés sur les mêmes images que toi. Dès le début s'est créé une sorte de communion dans la salle. Les gens ont ri, les gens ont pleuré, nous avons vécu, successivement, du dedans, les 12 chapitres. Ces personnes, je ne les connaissais pas et pourtant nous avons découvert ce film collectivement. J'y ai pensé sur le chemin du retour, j'ai trouvé ça beau.
Ce film, c'est une thérapie. Ca prend tes angoisses, ça les tord, puis finalement, ça t'explique que tout ça fait partie d'un processus plus grand. Et que ça passe surtout. Y'a des dialogues qui te resteront à vie dans la tête et qui t'accompagneront, une fois la trentaine atteinte et même plus tard. Il y a une cohérence tellement parfaite entre les images et les répliques. Elles tombent au bon moment, sur le bon plan. Par exemple, dans la scène où Julia s'énerve contre Eivind, il ne sait pas quoi répondre et chaque respiration, chaque bruit, chaque mimique cristallise la tension dramatique de la scène. Il y a un rythme entre les scènes, entre les chapitres même, qui est tellement maitrisé, ça ne fait que rendre l'expérience d'autant plus immersive.
La représentation de l'amour est d'un réalisme fou. Le chapitre où Julia va voir Aksel à l'hôpital est, pour moi, la séquence la plus authentique. Ce chapitre est déchirant tant il met en image des sentiments profonds, sur lesquels on a du mal à mettre des mots par la suite. Quand on a aimé quelqu'un, on ne cesse jamais vraiment de l'aimer. On a vécu des choses avec et ça, ça ne s'efface pas. La douceur qui émane de la relation entre Julia et Aksel à ce moment l'exprime davantage que n'importe quelle phrase explicative. Trier et Vogt, en écrivant les dialogues l'ont bien compris, ils font passer autant de messages par la bouche de leurs personnages que par leur gestuelle, et ça, ça ne serait pas possible sans des acteurs aussi brillants que le trio principal (Renate Reinsve, Anders Danielsen Lie et Herbert Nordrum). Les émotions marquent leurs visages et nous racontent visuellement l'amour, qui est à la fois dur et incroyable. Aksel était-il l'amour de sa vie finalement ? Peut-être, il l'est même sûrement précisément parce qu'elle l'a quitté à ce moment-là. A cette période, Julia et Aksel ne désiraient plus la même chose et leur rupture, aussi dure soit-elle, leur a permis de ne pas user leur relation. Dans les films, on traite souvent d'amour naissant mais je trouve encore plus beau de montrer l'amour sur la durée, comme le fait si bien ici Trier dans le chapitre où Aksel et Julia se retrouvent, après de nombreuses années. Une fois que la passion amoureuse est consumée, il ne reste que de la bienveillance, de la douceur entre eux.
Mais Julie en 12 chapitres c'est aussi et surtout une ode à la vie sensible. Julia apparait toujours en doute mais en même temps elle semble à chaque fois faire les bons choix pour elle, en réunissant constamment raison et émotions. On a souvent tendance à rejeter cette part de nous en favorisant les choix "de raison". Pourtant, quitter Aksel fut un choix de coeur et en restant avec lui, Julia aurait sûrement réalisé le schéma classique de mariage-boulot-enfant(s). Ce film, il vient te montrer que 30 ans, ce n'est que le début de tout et que cet état d'esprit peut s'appliquer à toutes les tranches d'âge. C'est toujours le bon moment pour tout recommencer. Dans la vingtaine on pardonne encore les gens de ne pas rentrer dans le joli petit moule que la société a préparé pour eux. Par contre, à 30 ans, si on ne s'y trouve pas, c'est l'entourage qui, naturellement, va t'y pousser gentiment. Ici, le film nous empêche de tomber dans cette logique facile : continuez de rêver comme si c'était la première fois, ne brisez jamais l'enfant qui est en vous, tout comme Julia. Doutez, recommencez, échouez, c'est là que se trouve la vie, la vraie, la seule qui en vaille la peine.