Au pays de l'Oncle Sam, après des décennies de western glorieux, avec un Far West sublimé et idéalisé, est venue, dans ce genre cinématographique, une vision bien plus sombre, bien plus pessimiste, pour ne pas dire crépusculaire, bien plus cynique, n'empêchant nullement, dans certains opus de cette période, une plongée dans la mélancolie et de dégager de forts accents romantiques. Sam Peckinpah, Don Siegel et Clint Eastwood sont les grands représentants de cette poussée désenchantée. Cette dernière a trouvé son aboutissement et sa conclusion avec Impitoyable. La boucle est bouclée.


Alors quelle est la raison d'être de la résurrection de cet état d'esprit westernien en 2024 avec ce Jusqu'au bout du monde ? Pourquoi Viggo Mortensen (réalisateur, mais aussi acteur principal, scénariste, compositeur !), pour son deuxième long-métrage, derrière la caméra, l'a fait ?


Peut-être pour y incorporer un regard féministe, en phase avec notre ère. Ce qui est particulièrement mis en exergue quand, durant une grande partie de la durée d'ensemble, le personnage principal masculin (donc celui incarné par Mortensen !) est complètement éloigné de l'histoire, complètement occulté dans ce qui se déroule sous nos yeux, pour se concentrer exclusivement sur sa compagne (jouée par Vicky Krieps !), pour voir ce qu'elle vit, la suivre face à toutes les épreuves qu'elle subit, seule, avec courage.


S'il faut reconnaître à Mortensen le mérite de vouloir éviter le pathos, de ne pas balancer le féministe de fond avec insistance et lourdeur, l'épure qui permet cela, hélas, amenuise gravement, par la même occasion, la profondeur des caractères, résumés à quelques moments importants vécus par eux, mais sans les creuser, tout ça à coups de grosses ellipses. Ce qui retire beaucoup de chair, d'émotion, d'attachement à l'égard de notre couple (en plus de réduire considérablement le potentiel de certains personnages secondaires, pour quelques-uns tellement inexistants qu'ils en deviennent inutiles !), de tension aussi. Tension qui, d'ailleurs, se résume uniquement qu'à quelques éclairs foudroyants de violence dus à l'antagoniste du récit qui n'apparaît, à chaque fois, que pour hurler et montrer avec fracas qu'il est l'antagoniste méchant, bien méchant.


La mise en scène, faisant la part belle aux plans larges, à la photographie lisse, ne se distingue en rien d'une grande majorité des films d'époque d'aujourd'hui, en étant engluée constamment dans l'académisme.


La seule surprise véritable réside dans la structure adoptée pour la narration, passant d'un temps à un autre, sans crier gare. À tel point que j'ai mis un peu de temps à comprendre, après l'introduction dans le présent (balançant tout de suite un élément important de l'intrigue !), que l'on passe brutalement à travers diverses périodes du passé, tout en revenant, de temps en temps (souvent brièvement !), au présent, avant d'y rester définitivement sur la fin.


Cela pousse à se concentrer et à maintenir un minimum d'intérêt. Dans cet objectif, Vicky Krieps aide aussi en offrant le meilleur d'elle-même parce que c'est naturellement une excellente actrice. Tout comme Danny Huston, qui arrive à se distinguer avec le peu qui lui est fourni, par le biais de l'esquisse d'un personnage semblant plus complexe qu'il n'y paraît, n'attirant pas l'antipathie, alors qu'il fait des choses répréhensibles (mais, comme tous les autres éléments dans l'entièreté du film, ce n'est qu'esquissé !).


Malgré cela, Jusqu'au bout du monde donne juste l'impression d'une succession d'images, placées dans un album, dont on tourne les pages d'un œil distant, avant de le refermer et de l'oublier aussitôt.


Ce qui a pour conséquence que, féminisme ou non, cette œuvre, à cause de ses énormes défauts et en dépit de ses quelques belles qualités, n'a aucune raison d'être. Pourquoi réentreprendre, en très largement moins bien, ce que les Peckinpah, les Siegel et les Eastwood ont déjà fait ?

Plume231
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le 3 mai 2024

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