Kagemusha est l'une des dernières œuvres d'Akira Kurosawa, réalisée à l'âge de 70 ans. Pour ma part, c'était le premier film que je voyais de lui. Je me souviens encore de cette VHS que je pouvais visionner des heures sans rien comprendre des enjeux qui se tenaient devant moi. Une véritable œuvre de montreur d'ombres, où certaines scènes témoignent des ambitions fantasmagoriques du Tennō. Un esthétisme qui m'en mettait plein les mirettes, les plans colorés et les costumes travaillés suffisaient à mes pupilles enfantines. Mais ce qui marque mon imaginaire enfantin, ce sont les amples travellings latéraux à fronts renversé qui captent des armées entières de soldats d'apparats. Peinturlurés, ils brandissent des milliers de bannières et avancent tels des pantins désarçonnés. Une longue marche désordonnée vers la défaite, une marche funèbre stylisée à l'extrême, une désincarnation sublime de la guerre.

Mais le film n'est pas qu'un chatoiement de couleurs, loin de là. En réalité, Kagemusha est un Jidaigeki politique à la finesse inébranlable. D'abord, car il traite de la période Sengoku sans traiter directement des trois unificateurs du Japon. Kurosawa préfère s'attarder sur le clan Takeda ; une élégie qui met à l'honneur celui qui a défié Oda Nobunaga et Tokugawa Ieyasu. Shingen Takeda est un fin stratège, le seul à faire trembler les nouveaux maîtres du Japon. Lorsqu'il décède en pleine campagne militaire, il demande à ce que sa mort demeure secrète bien conscient que son leadership est salvateur pour ses armées vaincues. Un kagemusha prend alors sa place. Une ombre du guerrier qui n'est guère plus qu'un bandit illettré. En mettant le halo sur le double du seigneur de guerre japonais, Kurosawa signe un drame politique avec pour question essentielle : peut-on exercer le pouvoir politique en étant ignorant des enjeux de son temps ?

Kurosawa tranche en faveur de l'ombre qui parvient à dissimuler son imposture pendant la quasi-totalité du film, maintenant le clan Takeda à flot par la justesse de ses décisions. Alternant burlesque et tension dramatique, le kagemusha défit le monde politique et l'apprivoise. Il faudra attendre le mouvement de trop. Guidé par son hubris, le kagemusha laisse le drame politique s'effacer pour "faire parler la poudre". Les armées reprennent leur inévitable marche vers la mort ; elles s'égrènent dans un fiasco bariolé et d'une beauté fatale. Un tableau diapré, une "somme des destructions", un chant du cygne pour Kurosawa et son bushido.

mamadede
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le 23 juil. 2022

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