Un film animé par une dialectique très godardienne, celle de l'ici et de l'ailleurs, où l'ailleurs est toujours un peu plus que l'autre côté au sens géographique du terme. L'ailleurs est aussi le passé, le futur, le rêve, le très loin et l'autre. Ce n'est pas seulement un effet de montage, où les contrechamps nous entraînent vers l'inattendu ; c'est dans les plans eux-mêmes que se joue cette dialectique. Le cadre cherche sans cesse à s'émanciper de son format rectangulaire, de sa délimitation. D'abord, par quelques miroirs ou vitres reflétant le hors-champ. Ensuite, par l'introduction en son sein d'autres images, l'écran d'une télévision, la projection d'un film sur un mur. Enfin, en repoussant sa durée et sa mobilité au maximum, comme en témoigne ce merveilleux plan séquence de 45 minutes, où nous parcourons une ville, traversons une rivière, entrons dans des boutiques, assistons à un concert, rencontrons des fantômes, des hommes venus du futur, et relions entre eux tous les éléments narratifs que le film essaimait jusqu'alors mystérieusement. La narrativité suit le mouvement esthétique du film (chaque plan veut être un monde en soi) en mêlant au présent le passé et le futur, qui se rencontrent, s'observent, se touchent. Kaili Blues est un film qui fait se réunir les époques, comme un noeud dans la courbe du temps. Un tour de magie, en somme - puisque c'est sur cela sur le film se conclue : l'horloge tourne à l'envers tandis que le train passe.
Il s'agit, pour moi, de la proposition de cinéma la plus ambitieuse et stimulante depuis Weerasethakul.