Je dois bien avouer que j’ai trouvé Kaizen, le documentaire d’Inoxtag, plutôt plaisant. Je ne connaissais pas le Youtubeur avant son annonce, il y a un peu plus d’un an, de son projet de monter en haut de l’Everest, lui qui n’était ni sportif, ni connaisseur de la montagne. Déjà à l’époque, son défi avait fait couler beaucoup d’encre…
Au final, et malgré toutes les problématiques d’ordre éthiques qu’elle soulève, force est de constater que j’ai trouvé sa vidéo assez plaisante à visionner. Alors certes, le montage, comme la façon de raconter l’aventure est extrêmement Youtubesque ; et je comprends que beaucoup trouvent cela horripilant. Avant de me lancer dans Kaizen, j’avais lu beaucoup de critiques concernant le caractère très egocentrique du bonhomme. Il est vrai qu’Inoxtag, de son vrai nom Inès Benazzouz, ne perd pas une occasion de se mettre en avant. Pourtant, j’ai trouvé que le youtubeur de 22 ans avait l’intelligence de présenter dans son documentaire l’équipe qui l’entoure (vous me direz, c’est un minimum), que ça soit son coach sportif, le jeune guide de haute montagne qui va l’accompagner durant son année de préparation, ou son équipe népalaise et en particulier les sherpas, ces porteurs qui s’esquintent le dos en délestant l’expédition de la charge des équipements.
Malgré son langage argotique djeuns à coup de « wesh mon reuf », j’ai trouvé qu’Inès était finalement plutôt attachant, avec son côté candide à chaque nouvelle épreuve sur sa route. Au départ pourtant, dans toute la première partie de sa préparation sportive, c’était loin d’être gagné : le personnage m’apparaissait très antipathique. Une séquence qui illustre parfaitement le côté « p’tit con » selon moi, c’est la réunion de crise avec son équipe où Inès, très fatigué par les efforts sportifs, comprend que pour mener à bien son projet, il va devoir ralentir sur le rythme des vidéos « et devoir passer de 4 vidéos par semaine à seulement 2 contenus ». Oh, là là, le pauvre…
La vraie réussite du film, ce sont les séquences en montagne, filmé de façon majestueuse. Alternant entre go-pro, caméras classiques, et plans en drone époustouflants, la beauté des paysages présentés donne envie d’y être. Que ce soit pour les sommets alpins – avec en point d’orgue l’ascension du Mont Blanc – ou pour les pentes himalayennes, l’équipe de tournage qui entoure le Youtubeur a fait du bon boulot. En revanche, la musique épique est beaucoup trop omniprésente, sur chaque séquence de montagne, amenant le spectateur à saturation.
Malgré tout, la vidéo d’Inoxtag soulève un certain nombre de problèmes éthiques qui m’empêchent de l’apprécier pleinement.
Je ne suis pas de ceux qui disent que le jeune homme n’a pas sa place au sommet de l’Everest. En quoi des alpinistes expérimentés auraient plus de légitimité qu’un gamin dont c’est le rêve et qui se donne les moyens de son objectif. D'autres rabaissent le caractère exceptionnel de l'entreprise, rappelant par exemple que l'Everest a été gravi par des gamins de 14 ans, ou un papi de 83 ans. Pourtant, pour avoir fait dans ma vie quelques sommets à plus de 6000m à peu près au même âge que le garçon, je me dois de confirmer que chaque montagne constitue un vrai défi, avec sa part de risques. Si son ascension n'est pas un exploit en soit (Inoxtag indique d'ailleurs que "les vrais héros, ce sont les 0,3% des alpinistes qui montent au sommet sans oxygène"), elle représente à coup sûr un très beau défi sportif.
En revanche, il est vrai que la popularité du documentaire risque d’aggraver la sur-fréquentation du plus haut sommet du monde. La crise d’agoraphobie d’Inès, dans la file d’attente du sommet, en est une séquence particulièrement révélatrice. Si je trouve la proposition de Jean-Marc Rochette – qui préconise l’interdiction pure et simple de tous les sommets de plus de 6000m à l’homme – un peu disproportionnée, je suis d’avis que des quotas doivent être mis en place afin de réguler l’accès aux sommets les plus emblématiques (et fragiles). D’autant qu'en ce qui concerne l’Everest, les fenêtres météo pour l’ascension sont extrêmement réduites, et concentrent toutes les tentatives sur quelques jours d'accalmie.
Cette sur-fréquentation s’accompagne également d’un gros problème de pollution de la haute montagne. Une nouvelle fois, Inoxtag a l’intelligence d’évoquer le sujet en découvrant le champ de détritus que constitue le Camp 4. On aurait pourtant aimé que la sensibilisation soit un peu plus présente.
Je ne reviendrai pas sur les critiques qui concernent le coût (autant environnemental que financier) que constitue une telle expédition. Malgré les messages d’Inoxtag à ses fans, les incitant d’une part à déconnecter les écrans (assez ironique venant d’un vidéaste qui doit sa popularité aux abonnés Youtube), et d’autres part à réaliser leurs rêves (facile à dire pour un youtubeur millionnaire qui se définit lui-même comme « pourri gâté ») ; réaliser l’ascension du toit du monde est hors de portée de 95% de la population.
En revanche, je souhaite m’attarder sur l’important problème – dont on a moins entendu parler – du mode de diffusion du film : Kaizen est sorti un peu à la manière US, en même temps en salle et sur la plateforme gratuite Youtube, avant d’être rapidement acheté par TF1 pour une diffusion TV début octobre. En tant qu’amoureux du cinéma et du grand écran, cette manière de diffuser le film m’inquiète.
Entendons-nous, c’est une bonne chose que le film affole les compteurs, que ça soit sur la plateforme ou bien sur les séances au cinéma. Cela prouve que les jeunes sont toujours capables de venir massivement en salle, pour peu que l’offre de film les intéresse.
En revanche, l’exploitation du film telle qu’elle a eu lieu en salle (plus de 1000 séances proposées le vendredi soir), est un vrai bras d’honneur à la chronologie des médias (qui empêche normalement un film de sortir le même jour en salle et au cinéma, et fixe les règles d’une diffusion en salle, puis en TV, et enfin après plusieurs mois sur Youtube). En ne respectant pas le cadre légal, le distributeur de Kaizen – mk2 films pour ne pas les citer – crée un dangereux précédent qui pourrait mettre à mal le modèle de l’exception culturelle française, tant enviée à l’étranger et responsable de la si belle vitalité de notre cinéma national. La sortie évènementielle démesurée de Kaizen semble indiquer à la profession que face à l’appât du gain, la loi peut être adaptée ou contournée et qu’il n’existe à ce jour aucune sanction prévue par le CNC pour y faire face.
Pour conclure, si le film est plutôt plaisant, notamment lors de ses séquences en montagne, Keizen est loin d'être
« le film de l’année » comme semble l’annoncer une partie des fans du youtubeur. D’ailleurs, peut-on vraiment parler de « film », tant le documentaire reprend les codes de la vidéo Youtube. Sa sortie met en tout cas en lumière un certain nombre de problématiques morales et éthiques et de dysfonctionnements dans le secteur du tourisme de haute montagne.