Pendant presque deux longues heures et demie, Alekseï Guerman va essayer de dresser un état des lieux de l’Union Soviétique au plus haut de son absurdité, quelques jours avant la mort de Staline. 1953, c’est le complot des blouses blanches, une chasse aux sorcières commence et touche tout particulièrement les médecins haut placés d’origine juive, mettant sur la sellette le général Klensky, directeur renommé d’un hôpital, grand bonze chauve et moustachu et père au demeurant du narrateur, petit maigrelet insupportable à la voix fluette et néanmoins perçante.
Guerman disait que les souvenirs n’ont pas de couleurs, c’est donc en noir et blanc que son dernier film est tourné, en 1998, alors que le cinéaste est depuis longtemps déjà réhabilité au sein du cinéma Russe après quelques années de purgatoire…
Pour passionnante qu’elle puisse être, cette période de fin de règne d’un type qui avait droit de vie et de mort sur la moitié du globe n’en est pas moins particulièrement confuse. Pour accentuer cette confusion, le réalisateur en rajoute des couches à tous les niveaux : narration confuse, photographie confuse, montage confus, cadrages confus, bande-son confuse jusqu’à l’horripilant, soit tout un dispositif qui finit par se retourner contre lui-même, perdant à la fois la force de son sujet et le charme de la folie douce.
Imaginez un film de Kusturica sans légèreté, avec même quelques touches bien glauques qui détonnent de temps à autre, imaginez un fouillis tellement gratuit que l’ennui vous guette avant d’avoir envie de vous laisser emporter par la démesure slave…
Moi, c’est dommage, j’ai une tendresse pour ces Slaves-là, j’aurai bien voulu avoir autre chose à me mettre sous la dent que des monceaux de dégénérés crachant et éructant qui se reniflent l’anus.
Incapable de raconter quoi que ce soit comme de montrer ce qu’il cherche à démontrer, Guerman se perd sans espoir de retour dans son système absurde, sa photographie trop chargée, ses folies trop marquées, ses bruits insupportables qui empêchent cruellement mon voisin Pruneau de fermer les yeux tranquillement et son Stal funéraire profané jusqu’à l’écoeurement…
Avec ça, je vois très bien ce qui peut plaire à certains de mes éclaireurs, c’est même presque moins chiant qu’un Bela Tarr tout en étant moins soigné, c’est par contre tout aussi indigeste.
C’est dur finalement un film où on finit par souhaiter l’anéantissement du moindre des protagonistes et où on en vient à regretter que notre petit gars de Géorgie se soit éteint un poil trop tôt…
Et ce bruit, foutreputerelle ! Ce bruit permanent entrelacé de sifflets stridents, d’incongruités corporelles, de crêpages de chignons, de cris hystériques variés jusqu’à l’infini et de jolies chansons russes.
Oui, parce que moi, j’ai un faible prononcé pour les chansons russes, mêmes faussement interprétés et rien que pour ça, je me laisse aller de bon cœur à ma générosité légendaire.