Revu pour la énième fois aujourd'hui, Kids Return demeure un film qui me laisse un arrière-goût indescriptible. Une vague impression de ne pas en avoir saisi tout le sens.
Kitano a sa manière à lui de raconter toutes choses, en tous lieux. De ses mains, il parvient à immortaliser un moment qu'on qualifierait de banal, mais qui se perpétue.
Son cinéma est simple, et pourtant, il m'est difficile de l'expliquer.
Quelles sont ses forces ? Ses faiblesses ?
Se croisent-elles pour former un bloc parfait ?
Ce qui est sûr, c'est qu'il n'y a pas qu'une seule vérité, et ça, Kitano le rend possible.
Dans cette fiction aux teintes autobiographiques, le froid impénétrable qu'on voit sur le visage d'un personnage devient une manifestation brûlante à l'intérieur de son corps. Rien n'est évident non plus, au coin d'une ruelle le doute peut frapper. Et cela, le film de Kitano en fait preuve à l'écran, il lui donne de l'expression, de la réalité substantielle. Il n'y a pas qu'un mot d'ordre qui règne en maître, mais plusieurs.
Nos paumés de la vie qui traînent les pattes sont le constat d'une génération de japonais. Des jeunes perdus, brouillés, désespérés, parfois suicidaires, recherchant de l'immédiateté dans ce qui doit se faire petit à petit, de façon prudente et sans faire des bonds de géant qui mènent au pied du mur.
Kitano n'a pas fait cette oeuvre pour juger, ni pour donner ce rôle délicat aux spectateurs. Il nous met simplement devant des faits accomplis, se répétant continuellement. Il y a d'abord ce système à travers le lycée de Shinji et Masaru, donnant le sentiment aux jeunes de les tenir par des chaînes, auxquels on explique que l'échec est irrévocable en dehors du cursus scolaire, et ceux qui aboieront trop fort seront lâchés dans la fosse aux lions. Une transition fragile entre le monde de l'adolescence et le monde des adultes.
La vie est un monstre qu'il ne faut pas redouter, ni subir, mais qui permet de dépasser ses peurs et ses anxiétés. Un monstre qui se déguise en un verre d'alcool, ou que l'on perçoit dans un Yakuza au costard fluo.
Pour l'affronter, il y a la boxe, par exemple. Elle te nourrit de ses bienfaits moraux, mais elle demande de la rigueur, du sérieux et tente de t'éloigner de toutes perversions. Encore faut-il suivre ses règles, ne pas s'éloigner de la structure stricte qu'elle exige en répondant à l'appel du monstre. Et de toutes façons, si tu ne le fais pas, il te rattrapera. Le plus important sera d'être prêt à l'affronter, et dans le pire des cas, être prêt à essuyer un échec.
Il y a une citation de Kitano dans lequel l'homme explique que le destin du troisième garçon, celui qui vit sainement et qui gagne son pain quotidien honnêtement, n'est pas moins tragique. Quoi qu'on fasse, il y aura toujours une difficulté. Une "difficulté" qui n'en est pas une pour un caïd, mais qui semble insurmontable pour un conducteur de taxi. Et quand tu n'as que "ton" emploi qui remplie ta journée, au point de limiter ton âme à la charge du travail, tu n'as alors pas d'autre échappatoire qu'une fin funeste. Car rien d'autre ne te rattache à la vie.
J'en dis peut-être trop sur « Kids Return », une perle d'orient. Il y a beaucoup à dire...
Une mise en scène intimiste qui porte fièrement l'accompagnement formidable qu'est la bande-son. Des musiques inspirées qui tirent constamment vers le haut tels Shinji et Masaru se faisant la course, se dépassant l'un après l'autre pour se booster mutuellement... Tant de scènes que je meurs d'envie de revoir. Qui ont ces capacités de ressourcer, de te faire la morale sans s'adresser directement à toi. C'est une véritable leçon sur la condition humaine.
Le tout c'est pas seulement de baiser, de boire ou de se battre. C'est d'y croire, comme un clown croit à sa blague, sinon c'est...
...un clown triste.