Après le coup de poing dans la gueule que je me suis pris hier en découvrant French Connection, voici maintenant le coup de pied dans la fourmilière du toujours fringant William Friedkin, 80 ans et tous ses plans. Preuve ultime que le réalisateur porte toujours aussi fièrement ses bijoux de famille, Killer Joe a visiblement choqué la critique autant que le public, et en particulier tous ceux qui ont tendance à vite oublier la fonction cathartique de l'art.
Il faut pourtant bien l'avouer, même si le réalisateur s'en défend, prétextant une volonté de rester fidèle à la pièce de Tracy Letts : on ne peut s'empêcher de déceler par moments dans Killer Joe toute la malice de celui qui sait que son film va provoquer les âmes sensibles. En résulte une oeuvre extrême, jusqu'au-boutiste dans l'exploration de la violence, mais sûrement pas gratuite. Dans le plus pur style lettsien, la violence et le sexe ne sont ici que des prétextes à placer l'être humain face à la morale et à l'amoral pour disséquer les tréfonds inavouables de l'âme. Les multiples références à l'univers des contes de fées ne font qu'accentuer la cruauté de la situation tragique et inéluctable qui se joue sous nos yeux, et dont la petite Dottie, tantôt Cendrillon, tantôt Chaperon rouge, semble être la victime passive, du moins jusqu'au dénouement.
Ni gratuite donc, ni vraiment complaisante, la violence grand-guignolesque de Killer Joe a beau se teinter d'un humour extrêmement froid et cynique, elle n'en reste pas moins viscéralement difficile à supporter et profondément révoltante, n'en déplaise à ceux qui taxent Friedkin d'inconscience. Quant au procès qu'on lui fait pour mépris des classes populaires, il est ridicule et n'a pas lieu d'être, tant la bêtise abyssale des Smith et la folie psychopathe de Joe renvoient à des interrogations existentielles et non déterministes, sur l'irresponsabilité, l'avidité, la crédulité, montrant que les damnés ne sont pas moins à craindre que le diable.