Éclatant à ses débuts (L'Exorciste, French Connection), le cinéaste William Friedkin fait clairement office de référence, bien qu'en perte de vitesse ces dernières années ; son dernier long-métrage Killer Joe est cependant venu changer la donne, fort d'un accueil critique plutôt favorable et de son casting alléchant.
Scénarisé par Tracy Letts, l'auteur de la pièce de théâtre adaptée ici (comme cela avait pu être le cas pour Bug, son précédent film), ce thriller à l'étiquette de comédie noire nous conte les déboires d'un petit dealer paumé et naïf, auteur d'une magouille impliquant sa famille et un tueur à gage énigmatique ; de prime abord, l'intrigue simpliste mais quelque peu audacieuse capte aisément l'attention, mais la grande question était de savoir à quel moment le plan si bien huilé allait foirer (on ne partage naturellement pas la naïveté de Chris).
L'ambiance, poisseuse dans un premier temps, maintient l'immersion pour finalement virer au malsain à mesure de cette descente aux enfers captivante, tandis que l'impressionnant Killer Joe n'aura de cesse d'empiéter de plus en plus sur le quotidien d'une famille des plus douteuses ; le long-métrage se démarque ainsi de par des figures originales et nuancées, l'empathie se mêlant au dégoût de bout en bout les concernant, et que dire si ce n'est que la moralité en prend pour son grade.
Néanmoins aucun d'entre eux n'est véritablement diabolisés, au contraire, Killer Joe soulignant les travers humains d'un tout à chacun sans pour autant omettre leurs bons côtés, à l'image d'un Chris sympathique de par son caractère utopiste et l'amour fraternel qu'il voue à sa sœur (bien que ce ne soit pas tout rose) ; celle-ci incarne d'ailleurs une certaine conception de la vierge pure et lumineuse, dont le rayonnement va irrémédiablement attirer à elle un Joe Cooper des plus ambiguë.
Personnage central de l'oeuvre, ce flic le jour, tueur la nuit est assurément marquant, de par l'interprétation sans faille d'un Matthew McConaughey aussi charismatique qu'inquiétant, et une psychologie foutrement obscure ; on notera aussi la présence d'un Ansel Smith encore plus paumé que peut l'être son fils, à tel point qu'il en devient aussi ridicule qu'amusant, d'autant qu'il est parfaitement doublé par le discret mais efficace Thomas Haden Church.
Dans la forme à présent, Killer Joe arbore une empreinte visuelle prononcée mais pas exagérée, la mise en scène truffée de plans rapprochés de Friedkin soulignant une certaine forme de promiscuité favorisant le malaise, tandis que les décors et l'environnement propre à la Nouvelle-Orléans s'y prêtent tout aussi bien.
Jusqu'ici tout se passe plutôt bien en somme, Killer Joe bénéficiant de solides interprétations (Emile Hirsch, Juno Temple) et d'une trame efficace, dont le propos fort outrancier se couple à quelques séquences plus ou moins renversantes, si ce n'est déstabilisantes ; néanmoins à l'image du foirage en règle que va connaître la combine de Chris, le film finit par battre de l'aile sur la fin (ou du pilon, comme vous préférez)...
En ce sens, ce semblant de huis-clôt composant les quelques 20 dernières minutes de film se veut aussi bavard qu'invraisemblable, Killer Joe virant à la farce macabre au gré d'une fellation démentielle et d'une fusillade aussi prévisible que forcée, mettant ainsi fin à une situation tenant de la mascarade grossière ; dommage en somme que le long-métrage tende à tant exacerber ses mauvais côtés dans la dernière ligne droite, d'autant plus que la fin ouverte estomaque fort d'une coupure abrupte.
Quoiqu'un peu surestimé, ce Friedkin n'en demeure pas moins un polar sympathique et atypique qu'il convient de découvrir rien que pour la performance d'un McConaughey hypnotisant, tandis que Juno Temple surprend grandement... et ce en bien.