Bien sûr, il y a la question du temps, trois heures vingt-six. Pourquoi Marty, enfin… why, Marty, why ??? Pourrions-nous nous écrier, si nous étions intimes avec le plus incroyable réalisateur américain des quarante-cinq dernières années (& counting). Ce qui n’est pas le cas et puis, ce serait vraiment impoli. D’ailleurs, son The Irishman dépassait déjà les trois heures. Ce n’était pas son meilleur film, même si très regardable (tandis que "Silence", par exemple, peut donner l'impression de durer le double).

Pour y répondre, je ne parlerai pas de l’intrigue, j’ai des manières, car vous aurez largement le temps de la cerner en voyant le film (soupir).

Elle ne tient pas non plus au jeu des acteurices. Di Caprio n’a pas choisi le beau rôle avec ce personnage de salaud médiocre et lâche, c’est tout à son honneur, tandis que De Niro n’a pas à beaucoup forcer pour emporter le morceau, en dépit du poids des ans qui se font indiscutablement sentir par moments. Le rôle de Lily Gladstone est difficile à jauger, car incarné mais un brin monolithique, elle n'a pas d'opportunité de montrer sa palette, mais elle « existe ».

Non, le plus surprenant est la forme, le classicisme du film, incroyablement linéaire, sa narration étirée jusqu’à l’agonie, ponctué de brèves accélérations lors des scènes d’actions expédiées. Nous parlons quand même d’un cinéaste capable, à plus de soixante-dix balais, d’éditer avec sa complice Thelma Schoomaker le Loup de Wall Street, film amoral, inventif, speed et plus débordant d’énergie juvénile que quatre-vingt-dix-sept pourcent des productions de son année de sortie voire des deux-trois dernières décennies _ ce sans parler de son traitement des effets primaires secondaires& autres de drogues variées et plurielles (à ce sujet, il travaillerait apparemment sur un biopic des Grateful dead)

Mais c’est intentionnel. Scorcese s’adresse sans doute et avant tout ici au peuple américain, songeant à Brando et Littlefeather, à certains engagements passés par d’autres que lui du temps de la lutte oubliée pour les droits civiques (cf commentaires si). Cette démonstration à mèche lente reprend à son compte les sentiments de colère, de frustration et d’indignation accumulés à postériori par les victimes du crime ici présenté, pour les faire ressentir aux spectateurs, et cherche à provoquer une explosion mais des consciences, dans un monde au récit collectif asservi par l’opinion, au mépris des faits.

En ce sens, très recommandable et réussi. Je n’ai d’ailleurs pas ressenti d’ennui au cours de ces trois heures vingt-six. Mais guère d’enthousiasme non plus. Seulement les émotions dictées par cette démonstration d’un maître, certes, mais pour en arriver là, à mon goût, j’aurais clairement préféré un film plus court.

PS: Bon, 6 mais pour un Scorcese...

PPS (long):Bref rappel :

pour Martin Scorcese et sa bande de potes cinéastes et acteurs, Marlon Brando était un héros moderne. Outre certaines capacités pour le jeu, c’était un séducteur invétéré, pardon…, dans le cas qui nous occupe, un activiste du mouvement des droits civiques, dont on oublie le côté engagé, pourtant jamais démenti, au point de risquer sa carrière. On peine à l’imaginer aujourd’hui mais lors du tournage du Parrain, Al Pacino ou Coppola lui-même étaient dans leurs petits souliers face à ce rebelle que l’industrie hollywoodienne cherchait à couler depuis que ce dernier refusait de jouer le jeu du mainstream. Le gars était peut-être in brin torturé et complexe, pourtant son aura s’étendait de James Dean et Newman, à peine moins âgés, jusqu’à notre époque contemporaine avec, disons, Johnny Depp (cette influence continue chez des jeunes acteurs d’aujourd’hui mais je ne nommerai personne. Ça pourrait faire un jeu sympa, entre cinéphiles, de chercher lesquels…anyway…). Depp, d’ailleurs, avec lequel il tournera The brave, un film étrange contant l’histoire d’un jeune indien dans un bidonville des plaines américaines, des indiens, donc, qui sont aussi au cœur de Killers of the flower moon… Hasard ? Je ne crois pas.

Parmi les causes que Brando supporte, celle de l’AIM, un mouvement pour les droits des population indiennes, apparaîtra de façon aveuglante en 1973 lors de la cérémonie des oscars, lorsque l’acteur, ayant remporté le trophé, envoya Sacheen Little Feather, une représentante sioux Oglala de l’organisation, le refuser à sa place, en délivrant une allocution en soutien à l’occupation de Wounded Knee, un endroit où eut lieu un massacre massif un siècle auparavant, qui sonna le glas des tristement nommées « guerres indiennes ».

https://fr.wikipedia.org/wiki/Occupation_de_Wounded_Knee

Cela créa un tollé monumental. Avec pour l’anecdote des acteurs conservateurs comme John Wayne cherchant à monter sur scène pour « dégager la squaw »…

Cela paraît loin dans le temps, effectivement, mais Sacheen Little Feather reçut des excuses publiques de l’institution des Oscars en juin 2022, soit cinquante ans plus tard, ce qui remit en lumière, le temps d’un flash trop éphémère, cet évènement pourtant marquant d’engagement d’acteur US.

On peut arguer du caractère de Brando, et douter qu’il faille suivre ses conseils en matière de PR, mais rien que ça peut expliquer en partie son image auprès de ces jeunes artistes. Et il est certain que Scorcese, qui évoque Wounded Knees en interview, n’a rien oublié.

Swindgen
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le 21 févr. 2024

Modifiée

le 15 mars 2024

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