En 1988, il était temps pour les Kazakhs de faire un film soviétique. Parfaitement situé dans la glasnost pour devenir un tournant cinématographique exotique mais majeur, il était obligé d’être cosmopolite : l’acteur Viktor Tsoï était avant tout rockeur ; issu de la diaspora coréenne, il était déjà parvenu à incarner la jeunesse dans un Flower Power tardif et nécessairement urbain avec son groupe Kino – cinéma, en russe. De là à la drogue, il n’y pas loin.
Et avec la drogue, plus rien de matériel ne sépare Moscou du Kazakhstan, maison de campagne de tout un mal-être apparu dans un refus de se poser où que ce soit : l’affichage récurrent de l’heure sur fond digital, c’est comme laisser juste hors de portée ce que la musique omniprésente signifierait si elle était libre, l’expression exacte d’une frustration qui peut enfin être dite. Les personnages enflent et désenflent comme le cœur gros des oppressés, comme un cri qui serait poussé pendant deux ans, jusqu’à l’éclatement.
Mais un cri effraie parce qu’il contient tous les sons, et il y a bien tous les sons de cloche dans Igla : d’Adriano Celentano à Shocking Blue, du désert à la ville, c’est juste un grand bazar très vide qui s’agite avec des tentatives d’abstraction. L’envie qu’il nous donne d’explorer les grands espaces de l’URSS et de l’âme s’estompe bien vite avec le culte de la violence, n’en déplaise à l’audace de dénoncer la morphine.
Quantième Art