L'amour louf
L'Amour Ouf restera avant tout un bon souvenir de projection en salle puisque j'étais accompagnée de ma maman qui était adolescente lors des années 1980 et qui avait envie de replonger dans sa...
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le 19 oct. 2024
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Visualisez-vous cet élève appliqué, qui a bien potassé ses cours et qui, le jour de la dissertation, cherche à tout prix à caser tout ce qu'il a appris, quand bien même ça n'aurait aucun lien avec la problématique et son raisonnement. Il étale son érudition, cite tel et tel auteur, tente de recopier les jolies citations qu'il a dégotées ça et là, reproduit des figures de style, et à la fin, il pense avoir produit un chef d'œuvre. Grande sera sa déception quand il découvrira que le prof, pas dupe, ne lui octroiera même pas la moyenne, au motif qu'il n'a tout simplement pas traité le sujet de fond.
C'est l'image qui m'est venue durant toute la projection du (très) long-métrage L'Amour ouf. Durant, c'est dire à quel point Lellouche a réussi à me sortir du film par sa débauche d'effets de style.
Je n'ai pas vu d'amour ouf, en revanche j'ai bien compris que Lellouche aime toujours réaliser des clips de rap comme dans sa jeunesse, qu'il est fan de Drive, qu'il vénère les films de gangster et se rêve en successeur de De Palma, Scorsese, Leone, Tarantino & Co. A croire que son objectif était de concentrer sur un seul film toutes les références cinéphiles et expérimentations qu'il avait en tête, indépendamment du thème et de la narration. Et la culture cinématographique étant comme la confiture, elle s'étale, hélas, sur 2h47.
Et les chevilles enflent, enflent... Plans inversés, travellings dans tous les sens, plans-séquence, alternance plans américains/rapprochés/gros plans, filtres couleur, montages façon clip, changements de focale, vision subjective, sons exacerbés, BO omniprésente... Vous pouvez retrouver dans l'Amour ouf à peu près tout le catalogue des effets de style, jusqu'à overdose.
Alors forcément, une fois sur dix, ça fonctionne, certaines scènes sont réussies - souvent les plus simples -, mais on a plutôt l'impression que c'est par loi de probabilité au milieu de tous ces roulements de mécanique, et que globalement, on se trouve face à un amateur qui a voulu se prendre pour un grand. Le problème, c'est que ça se voit : combien de fois ai-je imaginé Lellouche devant la table de montage et d'étalonnage, à poser ici un filtre, là un son amplifié, scroller la liste des effets de montage au hasard... Tant de subterfuges qui alourdissent le film bien plus qu'ils ne le servent.
Idem pour les changements de genre : là où un Bong Joon-ho dans Parasite, pour exemple, mène le spectateur à sa guise dans les variations entre comédie, drame et horreur, ici Lellouche nous sort de son film à chaque changement d'atmosphère, alors qu'on venait tout juste, péniblement, d'y entrer : aucune séquence comique ne vient aérer ou compléter la tragédie, aucune scène de violence n'alimente ou n'entrave la romance ; rien ne s'assemble en un tout cohérent, au contraire, on a l'impression de multiples ébauches posées l'une à côté de l'autre, chacune prétentieuse, mais sans qu'aucune ne soit allée au bout de son idée.
Se nourrir de références de grands films n'est pas un mal en soi, au contraire, mais charge ensuite de les maitriser et les mettre au service d'un projet cohérent de mise en scène et d'une narration. Quitte à avoir le courage de couper tout ce qui, d'évidence, dessert l'ensemble. Le personnage incarné par Zadi, par exemple, aurait dû à mon avis tout bonnement disparaitre : incohérent entre son caractère jeune et adulte, et comique inadapté à l'ensemble. De même, le personnage incarné par Lacoste est beaucoup trop caricatural, on ne comprend pas une seule seconde ce que l'héroïne lui trouve, ce qui rend toutes les scènes avec lui au mieux inutiles, au pire néfastes. Un personnage plus nuancé, désirable sur certains aspects, aurait été plus intéressant.
Toute cette surenchère aurait été moins gênante pour un simple film de mafia ; mais si Lellouche aime tant jouer aux gangsters, mieux vaudrait qu'il reste cantonné au genre. Car ici le grand oublié, c'est l'amour, précisément. Entre les montages expérimentaux, les clips musicaux et les braquages de mafiosi, plus beaucoup de place ne reste pour construire l'alchimie entre Clotaire et Jacky, qui décidément ne convainc pas. Elle n'est en tout cas pas celle d'un "amour ouf", qui vous fait conserver le souvenir de l'être aimé pendant 10 ans d'éloignement.
A l'instar de l'étudiant fier de lui mais appliqué, on ne pourra toutefois pas enlever à Lellouche, qui a commencé à travailler sur ce film il y a 17 ans, sa sincérité. Il a voulu, semble-t-il, nous donner le meilleur de ce qu'il peut faire, quitte à tout surcharger et rendre son film indigeste. Souhaitons lui de savoir s'inspirer d'un autre art, la sculpture, pour comprendre que c'est souvent par la soustraction, par l'épure, que se révèle la beauté. Sans quoi, on en restera à la masse brute difforme, enlaidie de surcroît par la prétention...
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le 28 oct. 2024
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