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L'Amour ouf
6.7
L'Amour ouf

Film de Gilles Lellouche (2024)

Parfois le cinéma est un reflet du vide au cœur de l’être. Un vide au sens théorique : à travers l’écran les personnages s’agitent beaucoup, agissent beaucoup, mais à peu de moment, ils pensent. Sans dire qu’ils sont bêtes, ils semblent peu capable d'interroger ce qu’ils sont en train de faire et ce qu’ils sont tout court. Cet impensé est alors investi par une force étrange, une émotion qui soumet le corps à son contrôle, la pulsion.


Que L’Amour Ouf regarde du côté des gangsters, des prolétaires ou des chiens-fous déscolarisés, partout cette pulsion règne. Pris de colère, le gosse poursuit son frère et casse un vase au pasage, pris de colère le père donne une correction à son fils et lui hurle dessus, pris de colère les ouvriers organisent une grève, pris de colère un gangster fracasse sa portière à coups de poing, pris de colère un homme secoue violemment son ex femme dans une cabine téléphonique, pris de colère le gosse démonte trois adultes à coup de barre de fer, mais pris d’amour il vole une caisse de flamby pour l’offrir à l’élue de son cœur. Car l’amour n’échappe pas à ce tout-pulsion, il est alors amour-pulsion, coup de foudre, baiser dans des champs de fleurs jaunes, contemplation d’éclipse et danse complice dans un paysage mental clipesque. Et confusion, à la fois une pulsion inconsciente pour maintenir à distance la noirceur d’une vie absurde, à la fois une pulsion qui naît dans cette même noirceur, où l’on trouve à la racine de l’histoire d’amour, l’insulte ou le mépris.


La pulsion n’est pas qu’une caractérisation de récit, elle vibre dans les excès d’images. Un excès en montage rythmique. Des paysages, des lumières chargés et des voyous qui marchent en travelling latérale, se succédant dans un léger contre-pied à l’idée d’un espace stable et d’un temps linéaire, mais légitimé sensoriellement par la musique. Il n’y a donc pas le raffinement de la rupture du cinéma d’auteurs des années 1960’s, qui infuse l’ambiguïté en faisant douter de la position du spectateur quant à ce qu’il regarde. Il s’agit plutôt d’une forme de ciné-clip, une jouissance des grandes images pour les grandes images, des grandes images presque hors du temps, presque comme une illustration émotionnelle déliée du récit, presque comme un interlude d’album rap. Cette forme populaire et moderne n’est peut être pas ce que le cinéma fait de meilleur, elle relègue l’idée du sens des images au second plan (la pulsion esthétique domine), voire au troisième plan (le sens profond des images, s’il est présent, se terre souvent dans un espace filmique en marge du récit tangible). Pourtant elle n’est pas méprisable, elle témoigne d’une volonté claire et non d’une tentative vulgaire d’étaler son budget à l’image, puisqu’elle sait réintégrer le récit (hors ciné-clip) pour s’approprier les excès de violence des gangster et en faire un chaos visuel (fusillade en ombres portées, abstraction des formes au corps à corps), ou pour incarner avec force la haine (plongée de la caméra dans un esprit confus aux yeux rouges) et la vengeance (vengeur illuminé par un vitrail jaune, dans un instantané du sentiment de puissance sur lequel on zoom, à la frontière entre la démesure clipesque et l’accord avec le fantasme du gangster véhiculé par le film et reçu par le personnage lui même).


Pulsions et images d’excès ne suffisent pourtant pas à porter l’œuvre à sa quintessence. La pulsion n’est pas suffisamment troublante, le jeu qu’elle entraîne flirt avec le risible et les images-pulsions-esthétiques recouvrent trop l’âme des personnages, elles incarnent un vide de l’être compensé par un grand amour, mais elles finissent par rendre vide ceux qui les regardent. C’est alors que survient une nuance, dans la même idée que l’image hors du récit qui sait parfois le pénétrer, l’amour-pulsion n’est pas qu’amour-pulsion. Le flot des images sait alors se stabiliser, la musique faire silence, et la psychologie doucement revenir, permettant d’interroger le vide en soi, les limites du rêve financier alternatif du gangster, et les raisons de l’amour. L’Amour Ouf accompli alors ce que les grands divertissements savent faire, l’alternance du spectacle et de la pensée. Et ici quelle pensée, quel souffle humaniste dans le discours sur l’amour. Un amour cinématographiquement omnipotent, capable de contredire le cours du temps, de trancher les fils du destin, et un amour intimement sensé, permettant l’acceptation de l’absurde existentiel et du déterminisme social. L’élévation de l’individu le fait alors passer de l’Amour-pulsion à l’Amour-raison.

KumaKawai
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le 7 déc. 2024

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