C’est certainement le plus cité dans les livres de cinéma comme étant un des films français à voir dans sa vie. Alors pourquoi se lancer dans le visionnage de cette œuvre aujourd’hui ?
Pour découvrir un film maudit du cinéma français où Jean VIGO s’est tellement investi sur celui-ci qu’il en est tombé malade, en raison des conditions de tournages difficiles. Il décèdera peu de temps après la sortie du film, à seulement 29 ans. Malheureusement, la malédiction ne s’arrête pas là car son œuvre a été amputée de quelques scènes, a été renommée et a disparu très rapidement des salles, après une réception calamiteuse auprès du public.
Malgré cet échec cuisant, le film connut une nouvelle sortie en 1940 avec l’ajout de nouvelles scènes. Par la suite, il obtint une certaine reconnaissance auprès du public mais cela a pris beaucoup de temps pour que ses qualités soient vraiment appréciées.
N’étant pas familier avec le cinéma de ce jeune cinéaste, la présence de Michel Simon, jouant admirablement dans les drames, a fini de me convaincre de me lancer dans l’aventure de ce visionnage. N’aimant pas la représentation du couple tel qu’on pouvait la voir au cinéma à l’époque, le réalisateur fait un choix particulièrement judicieux de s’intéresser à la vie conjugale dans un contexte populaire et provincial : celui des bateliers.
A travers une galerie de personnages dont le plus excentrique est, assurément, celui du Père Jules (Michel Simon vieilli pour l’occasion), Vigo s’attache à décrire le fonctionnement du couple et du contexte social de l’époque, de manière quasi-documentaire. Heureusement, le cinéaste fait preuve de créativité grâce à des séquences en surimpression marquant plus ou moins fortement les spectateurs. Ainsi, il échappe par ce procédé cinématographique à la censure en montrant la force de l’amour entre deux êtres. Clairement, le Père Jules ajoute le grain de folie à cette histoire avec sa grande gueule, son âme d’enfant, et son repère atypique peuplé de souvenirs de son passé de marin.
La vie du couple est assimilée de manière poétique et imagée à la trajectoire de la péniche dans laquelle se déroule une bonne partie de l’histoire. L’épouse Juliette (Dita Parlo), très vite engluée dans la routine quotidienne conjugale, se sent revivre en entendant à la radio les nouvelles de Paris qu’elle souhaite ardemment visiter comme tout jeune provincial, malgré la réticence de son mari. Comme dirait Inès Reg :
Je veux des paillettes dans ma vie !
Faisant l’expérience parisienne et, accessoirement de la vie urbaine, elle va connaître la tentation physique et matérielle. Cet aspect était subversif pour l’époque car c'était une façon détourner d'aborder le thème de l'adultère . Malgré tout, elle va vite déchanter en s’apercevant de la réalité sociale de Paris, loin d’être aussi sublime et idyllique que celle fantasmée dans son esprit.
Cette parenthèse nécessaire pour Juliette, vécue autant du point de vue féminin que masculin par le spectateur, lui permettra de savoir, grâce l’absence temporaire de son conjoint, à quel point elle l’aime. Bien évidemment, la vie d’un couple hétérosexuel a bien changé depuis mais cela permet de constater tout ce qui a changé ou non depuis toutes ces années. Il apporte également un aperçu réaliste d’un métier peu vu sur grand écran sauf dans les années 20 (L’Hirondelle et la Mésange, La belle Nivernaise) et 30 (celui-ci et la Belle Marinière).
La musique de Maurice Jaubert est bien intégrée au film. A un point qu’elle atteint un degré inattendu de magie dans une scène avec le père Jules. Pour les aficionados de François Truffaut, ce dernier reprendra ses compositions pour les bandes originales pour quatre de ses films : l’Histoire d’Adèle H, l’argent de poche, l’homme qui aimait les femmes et la Chambre Verte. C’est une des preuves de l’amour que le réalisateur de la Nouvelle Vague porte à ce film dont il proclama dans Les films de ma vie :
Filmant la prose, il atteint sans effort la poésie
Après avoir été longtemps invisible pour le public, une version restaurée sortie en 1990 a permis de le découvrir en version intégrale. A ce moment là, il est définitivement devenu ce classique du cinéma français, en raison de son parcours très particulier. Pour ceux intéressés par les scènes restaurées ou reprises, cliquez ici.
Conclusion :
Au final, L’Atalante, par son ancrage social et ses choix de mises en scènes, décrit admirablement le microcosme des bateliers et du couple populaire tel qu’il existait dans les années 30. Grâce au talent et à la jeunesse du cinéaste, ce long métrage continue d’avoir un retentissement auprès des spectateurs contemporains, notamment sur le fait que Paris et le couple ne sont pas aussi parfaits qu’il n’y paraît.
N.B : Découvert dans sa version restaurée et intégrale