Ce film pourrait être un documentaire sur la perte de sens. La disparition d’Anna au début du film est un véritable coup de force de la disparition littérale du sens. Le spectateur suivait depuis le début ce personnage d’Anna mais une fois disparu, où est maintenant l’histoire?
En étant dépourvu d’histoire, les personnages deviennent étrangement intéressants. L’île désertique devient une page blanche absolue même si la première fois qu’on regarde ce film, le spectateur a l’impression qu’Anna va réapparaître, qu’il est face à une dramaturgie classique, qu’une enquête va suivre. On pourrait même rapprocher cet acte brutal de disparition à la scène de la douche d’Hitchcock dans Psycho qui est suivie d’une véritable enquête après, mais Antonioni, lui, après la disparition brutale de son personnage, fait semblant d’enquêter, ses personnages ne prennent pas cette enquête au sérieux qui tourne vers l’absurde comme si on se retrouvait dans une pièce de théâtre de Beckett avec ces personnages livrés à eux-même en quête de sens.
Ce scénario relève d’une liberté dramaturgique qui ne serait sûrement plus possible aujourd’hui. Comment de nos jours le système de financement réagirait face à un scénario comme l’Avventura? Scénario d’une grande modernité, modernité dans les sentiments, dans la morale même, incarné à travers le personnage de Monica Vitti qui se distingue complètement par rapport aux autres actrices italiennes de cette époque. Elle est l’aventure même de l’Avventura.
Tout au long du film, les personnages se construisent peu à peu et au fur et à mesure du récit. Le spectateur peut reconstruire en lui sa propre histoire, le film devient alors un véritable acte de création.
Au coeur du film, Claudia va jusqu’à se substituer à Anna toujours dans cette thématique de faux semblant et les deux personnages vont aller jusqu’à se perdre dans ce village du néant, enfermés dans un cadre aux abstractions géométriques, tout droit sortis de peintures de De Chirico, perdus dans ce silence et ce vide écrasant.
A la fin, le couple s’aime, la question d’Anna est complètement écartée mais on découvre qu’un scénario invisible s’est fait à l’intérieur des deux personnages qui se retrouvent à l’intérieur de leur couple face à leur propre solitude. La disparition est alors remise en scène. Claudia pourrait perdre Sandro comme il avait perdu Anna qui reste ce nuage noir mais une réponse ici dramaturgique purement conventionnelle nous est donnée: il est avec une autre et ce choc dramaturgique est alors immédiatement résolu. Le film clôt sur une disparition résolue et surmontée des deux personnages.