En abordant quasiment le même sujet que dans son sous-estimé Femmes Entre Elles, réalisé 5 ans plus tôt, Michelangelo Antonioni renouvelle une expérience qui s'avère cette fois parfaite et totalement fascinante. L'Avventura est un regard sur l'être humain, sur sa complexité et ses nombreux paradoxes. Sur ses forces et ses faiblesses. Une étude ontologique et métaphysique qui n'a pas pris une ride puisque l'humanité dépeinte dans l’œuvre reste indéniablement contemporaine. C'est également une grosse claque artistique, aussi implacable que celle infligée par la Nouvelle Vague à la même époque. Guère étonnant alors que L'Avventura fut couronné du prix du jury lors de la treizième édition du Festival de Cannes en 1960 pour sa "remarquable contribution à la recherche d'un nouveau langage cinématographique". Car cette grammaire et cette conjugaison artistiques avec lesquelles Antonioni tâtonne depuis Chronique D'Un Amour, son premier film, il les maîtrise enfin et livre un véritable miracle sur pellicule.
Anna, une jeune bourgeoise couvée par son père, doute de ses sentiments pour Sandro, un architecte, avec lequel elle fait actuellement un break. Lors d'une excursion en yacht avec ses amis, dont Sandro, Anna disparaît mystérieusement en visitant un îlot volcanique. Sa confidente et meilleure amie, Claudia, part alors à sa recherche en compagnie de Sandro. Entre ces derniers, une attirance réciproque va rapidement naître...
Ne vous attendez pas à un polar, ni même à une romance comme il en existe des milliers. Non, ce qui intéresse Antonioni sont les réactions humaines suite à la disparition d'Anna. L'affaire en elle-même indiffère le cinéaste qui choisit de disséquer les comportements de l'entourage de la jeune disparue. Avec un pessimisme qui rejoint celui qu'Antonioni abordait dans ses premiers films, les protagonistes de L'Avventura se débattent au sein de leur propre existence ternie par des relations empreintes de cynisme et de mesquinerie. En analysant la vacuité de ces pauvres vies, mais aussi le paraître dans l'abondance et le luxe, à l'exemple de cette jeune vedette de 19 ans adulée qui s'avère n'être qu'une prostituée. Antonioni autopsie l'âme humaine avec réalisme et pertinence.
En prime, l’œuvre se voit dotée d'un casting exceptionnel. De l'équipe technique aux comédiens, absolument rien n'est laissé au hasard et chacun livre le meilleur de lui-même. Car de la fabuleuse photographie en noir & blanc d'Aldo Scavarda à la merveilleuse musique de Giovanni Fusco, en passant par les extraordinaires performances de Monica Vitti et de Gabriele Ferzetti, le tout sous la géniale direction d'Antonioni, L'Avventura reste l'une des expériences les plus passionnantes et émouvantes de toute l'Histoire du cinéma italien. Son réalisateur dira plus tard que c'est un giallo in rovescia (un gialo à l'envers). Sûrement la meilleure définition que l'on puisse attribuer à ce film déconcertant, hypnotique et unique qui inspirera par ailleurs David Lynch à reprendre la trame de l'étrange relation amoureuse unissant les proches d'une disparue, en l'occurrence la lycéenne Laura Palmer, dans le pilote de la série Twin Peaks en 1990.