De Joachim Lafosse, je n'avais vu pour le moment que le très marquant A perdre la raison que j'avais trouvé impeccablement joué et dont la scène finale m'avait bouleversée.


On retrouve le goût du réalisateur pour le drame conjugal dans son oeuvre de 2016 au titre surprenant, presque oxymorique, L'économie du couple. On retrouve la sublime Bérénice Bejo (habituée aux histoires familiales compliquées comme dans Le Passé) qui partage l'affiche avec Cédric Kahn. Le film est presque un huis-clos (en vase clos) puisqu'on ne quittera pas la maison ni ce couple en pleine séparation. Le thème que choisit Joachim Lafosse est très contemporain puisqu'il traite de ces pré-divorcés contraints, pour des raisons généralement financières, de continuer à vivre sous le même toit dans un premier temps.


Nous rencontrons donc une famille qui en a l'apparence mais qui n'en est plus vraiment une. Marie et Boris se sont aimés, ont eu deux filles, lui a retapé toute la maison pendant des années pour en faire leur cocon, on sent qu'ils se connaissent par coeur - peut-être trop ? - mais aujourd'hui, ils ne se supportent plus. Enfin, surtout elle. Boris lui sort par les yeux et nous assistons à leurs prises de bec et règlements de comptes avec force cris et disputes réalistes (devant enfants, parents indignes!) qui ne sont pas sans rappeler celles de La Bataille de Solférino.
Une obsession très actuelle dans le cinéma français que les couples en crise.


Mais rien n'est simple, il n'y a pas les bons et les méchants dans une séparation et entre deux phrases définitives et scènes terribles (dont celle du dîner entre amis où s'incruste Boris persona non grata), le couple hésite, se cherche. Bérénice Bejo est particulièrement formidable dans ce rôle de mère un peu verticale, totalement dévouée à l'organisation de son foyer, qui tient la famille à bout de bras mais dont le regard s'embue par moments en voyant le père de ses filles danser avec elles. Cette scène de slow endiablé sur Bella de Maître Gims m'a tiré quelques larmes...


Joachim Lafosse réussit à faire un film dramatique sans en faire trop, sans verser dans le pathos, sans manichéisme, sans accabler l'une ou l'autre des parties prenantes. Il se dégage une grande puissance émotionnelle de ce face-à-face tragique entre deux êtres qui s'aimèrent et qui pourtant se déchirent.


L'économie du couple cumule les qualités à la fois dans le fond - poignante radiographie du quotidien étouffant d'un couple contemporain qui se délite - et dans la forme. La bande-son est poignante, la photographie absolument somptueuse (avec son image dorée/sépia qui m'a rappelée Jeunet) et sa mise en scène aux petits oignons. C'est bien simple : certaines scènes sont de véritables tableaux comme Marie entourée de ses deux filles dans son lit (une vraie madone) et le couple épuisé sur le canapé, de retour de l'hôpital, et ces mains qui se prennent malgré tout.. Rien qu'à l'évoquer, j'en ai encore des frissons. Les longs plans séquence silencieux sont également très réussis, à chaque fois chargés d'émotions pudiques et de non-dits assourdissants (comme quoi, on peut faire long mais sans trop - coucou David Lowery)


Vous l'aurez compris, ce n'est pas un film gai, mais il est si beau et si formidablement interprété qu'il serait regrettable de passer à côté !
(et après ça, qu'on vienne me dire que la France ne sait plus faire de très bons films)


Tout au long du film, on espère, on se dit qu'ils vont finir par se rapprocher, que tout n'est pas mort. Et puis la scène finale - terrible, avec cette voix sans émotion qui débite son texte juridique et qui fait écho au titre. Quand la raison reprend le dessus, froidement.

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le 8 janv. 2018

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