« L’enfer du devoir » est un « film à thèse difficile » dixit William Friedkin lui-même. Je dirais que c’est une thèse qu’on n'est pas forcément obligée de montrer de cette manière… Je dis ça en appréciant bien le film, mais force est de constater que le propos, son traitement et sa mise en scène rende ce film de procès moralement ambigu, voir ordurier par certains aspects. Je trouve que les critiques négatives de l’époque n’avaient pas vraiment cerné le problème, criant de suite à l’islamophobie, se passant de l’analyse de fond et comprendre pourquoi la polémique fut si importante.
Déjà, le scénariste James Webb, n’a pas un profil commun, c’est un homme politique et un ancien militaire haut gradé (secrétaire américain à la Marine - 1er secrétaire adjoint à la Défense pour les affaires de réserve), ça me paraît important à signaler et explique énormément de chose. Il est crucial de comprendre que les événements et les péripéties de « L’enfer du devoir » sont intimement lié au thème du légalisme, de la théorie (la loi) à la pratique (la loi appliquée au réel), c’est littéralement le sujet principal du film.
Une fois le thème choisi, voici le dilemme (la « thèse difficile » ) : Yémen - une foule hostile – des gens armées dans cette foule tirent sur l’Ambassade des États-Unis (donc sur le territoire américain) - des Marines sont tués – cette foule est aussi composée de femmes et d’enfants. Le colonel, comme l’indique le règlement de combat, ordonne à ses Marines de tiré sur la foule. Résultat : 83 morts et des centaines de blessés.
Évacuons de suite l’élément politique et diplomatique (Marines sacrifié au profit de la diplomatie et détriment de la vérité – destruction des bandes prouvant qu’une partie de la foule était armée) afin de se concentrer sur le vrai problème du film qui - à mon avis – est la raison de la discorde.
Le traitement.
Tout le film est centré sur le personnage de Samuel L. Jackson, toute la charge émotionnelle – que ce soit dans la mise en scène ou dans la musique – est constamment là pour nous rappeler que ce Colonel est un héros de guerre multi-médaillé, un homme admirable et un grand patriote combatif et volontaire, lâchement sacrifié par sa hiérarchie. Il est LA victime du film, il est celui pour lequel nous nous devons d’être en empathie. Alors… Quel est le problème, me direz-vous ? Tout ce que je viens d’écrire là exact, c’est une victime du système politique et militaire qui se retourne contre lui.
Le souci est multiple. Pour commencer, ce Colonel (ce héros), qui est donc le personnage principal auquel le spectateur est censé s’identifier, ne semble pas affecté par la mort de femmes et d’enfants, pour lui, ça ne semble pas être un objet de culpabilité particulier. Mais surtout, et c’est là que l’on quitte le terrain de l’ambiguïté pour entrer dans celui de l’indécence, les victimes civiles femmes et enfants ne sont pas présentés comme des victimes aux spectateurs, la seule chose qui soit présenté comme une injustice est la situation du colonel. Pire encore, la seule voie portant la mémoire des victimes collatérales de cette opération militaire catastrophique, est précisément celle qui nous est présenté comme l’instigatrice de l’injustice que subit le Colonel, à savoir l’avocat de l’accusation, présenté comme un bureaucrate arrogant et insupportable.
Le thème est intéressant, le dilemme complexe et horrible, le sujet de fond est passionnant, mais le traitement et les angles pris dans « L’enfer du devoir » sont fort douteux. La charge émotionnelle du long-métrage corrobore strictement l’aspect légaliste, ce qui en fait un film purement militariste, au cœur dur. La loi guide l’émotion à défaut de guider la morale.
L’identité sulfureuse de « L’enfer du devoir » est le fruit d’un scénariste qui est avant tout un homme de droit et un militaire, Friedkin, à défaut d’y mettre de l’humain en partageant les peines, choisi d’oublier le traitement de la perfectibilité de la loi et du règlement face à la complexité du réel, au profit d’une réhabilitation légale au goût amer.