Contrairement au film des Grolandais Kervern et Delépine, L'Enlèvement de Michel Houellebecq n'a pas eu l'honneur de sortir en salles ; tout aussi contrairement, il est vraiment très, très bon. Il n'y avait sans doute pas meilleur cinéaste que Guillaume Nicloux pour trousser un film avec Houellebecq, pas meilleur cinéaste pour représenter à l'écran ce mélange de franchouillardise désuète, de désespoir social et intime, de cynisme, de froid recul sur la vie que constituent la personnalité publique de Michel Houellebecq et, aussi, celle du cinéma de Guillaume Nicloux. On pouvait se méfier, bien sûr : rien n'est plus facile que perdre quand on joue à domicile. Mais ce qui chez d'autres a viré à l'exercice de style masturbatoire et prétentieux trouve ici un sens inespéré. Guillaume Nicloux, en reprenant son style glacé et brut déjà brillamment mis à l’œuvre dans ses polars locaux (Le Poulpe, Cette femme-là, Une affaire privée, entre autres) réalise une parfaite synthèse de son cinéma, ce qui est déjà le plus important. Avant Houellebecq, il y a vraiment la mise en scène de Nicloux. Cet Enlèvement frappe par le dosage extrêmement précis qui y est fait entre tension et dérision, entre thriller et comédie. L'absurdité du récit, la noirceur de l'intrigue constamment mise dos-à-dos avec un comique de situation légèrement glauque donnent au film une identité unique, renforcée par l'usage d'un huis-clos parfaitement maîtrisé, qui réussit à être à la fois inquiétant, banal, triste et drôle, sans que jamais l'on n'ait l'impression d'être jeté d'une émotion vers l'autre. Nicloux réussit un mélange admirable, probablement aidé par un scénario simplissime, des textes percutants et des personnages qui crèvent l'écran. C'était sans doute de cela dont Nicloux avait besoin pour produire un film aussi essentiel : peu de moyens, peu de lieux, une chaîne de télé culturelle pour mécène, et basta.

Toujours sans parler de Houellebecq, le casting est une franche réussite. Trois seconds couteaux des polars et comédies d'action français côtoient l'écrivain : Mathieu Nicourt, Maxime Lefrançois et Luc Schwarz. A ceux-ci viennent s'ajouter un couple de personnes âgées au physique un peu étrange, qui rappelle les films de Kervern et Delépine. Comme Houellebecq, ils jouent leurs propres personnages, et leur simplicité les dote d'une phénoménale présence à l'écran davantage renforcée par la silhouette frêle et vieillie de leur otage et les cadrages sobres de Nicloux. La façon très spontanée avec laquelle chacun s'exprime et la prise de son légèrement sale contribuent à donner au film une impression de vie saisissante, rappelant les premiers Kechiche (dont on retrouve pour partie les scènes de bouffe) ou les films de Sophie Letourneur : c'est si authentique, à vrai dire, qu'on se sent régulièrement dans une position de voyeur aussi inconfortable que jouissive. De façon générale, le cadre et les personnages sentent la France du terroir sans additif. L'atmosphère est prenante, connaissant un pic à partir de la scène de l'enlèvement (véritable prouesse de tension et d'humour mêlés, vraiment) pour maintenir un niveau d'intensité remarquable sans qu'il ne se passe, au final, strictement rien.

Dans tout ça, Houellebecq sert de ciment. Il renforce ou fait tenir les scènes les plus anecdotiques par une présence détachée qui s'accorde à la perfection avec la froideur de la mise en scène et le sordide des situations. Il donne à tout le film une couleur intensément franchouillarde, précisément celles qu'étaient venus capturer Kervern et Delépine avant d'échouer lamentablement dans Near Death Experience. L'image et le son sentent le renfermé, l'étroitesse, l'idéal refoulé, la précarité, la souffrance sexuelle et affective, mais pourtant on veut en rire. Les scènes sont très bien écrites et jouées, comme ce repas où le massif Luc Schwarz est sur le point de démolir physiquement Houellebecq pour un propos mal placé : c'est comme ça pendant une heure trente, le film gronde d'une énergie volontairement refoulée qui rend les personnages petits, bêtes, mais paradoxalement passionnants dans leur incarnation d'une certaine France et du rapport de celle-ci à Houellebecq. Sans même apprécier l'auteur (je ne suis pas fan de ses livres), il est impossible de ne pas reconnaître à ce film un caractère hors-normes. En se centrant sur une personnalité de notre temps et de notre pays, en accordant toute sa mise en scène autour d'un personnage clé au charisme singulier, cet Enlèvement est une comédie grinçante touffue, ambitieuse et pourtant fondamentalement très simple. Tout comme Nicloux et Houellebecq eux-mêmes, on n'est pas sûr de l'importance qu'il faut réellement donner à ce film, on n'est pas sûr non plus de son sens profond, si tant est qu'il existe ; mais c'est un tel aboutissement formel qu'on ne peut que tomber sous le charme de ce conte cynique et plein d'ironie. Peut-être le meilleur film de Guillaume Nicloux.
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le 20 déc. 2014

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Seb C.

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