Mal aimé du public, massacré par la presse, L’Esprit de Caïn est un film pourtant spécialement réalisé pour se remettre sur les rails après les échecs de Mafia Salad, Outrages et, surtout, Le Bûcher des vanités qui est, peut-être, au fond, le seul vrai film raté de Brian De Palma. Alors qu’il avait pris le parti après Body double, qui avait reçu un accueil plutôt frileux, de s’éloigner du thriller, il y revient huit ans après pour renouer avec son public. Fort de son expérience, le réalisateur décide d’aller encore plus loin dans l’ironie qu’il peut mettre dans ses films. L’histoire est ainsi un prétexte pour relire avec plus de distance encore les œuvres qui l’ont toujours inspiré et ses propres productions. Plus que ses habituelles citations au cinéma d’Hitchcock (principalement Psychose et Vertigo ici) ou d’autres références connues (Eisenstein et la fameuse scène du landau déjà largement mise en hommage dans une des plus célèbres scènes des Incorruptibles) ou moins connues (on trouve ici des citations évidentes du cinéma de Dario Argento), Brian De Palma ici se cite voire se pastiche. Comment, en effet, ne pas penser tout au long du métrage, et notamment la fin qui en semble une véritable relecture, à Pulsion ? Ou encore à Obsession ou Sœurs de sang pour le thème du double. Ou encore à Obsession et Blow out pour le rôle accordé à John Lighgow ? De façon évident, Brian de Palma plonge ici dans le métacinéma, et plus précisément, son propre cinéma qu’il décortique en même temps qu’il le fait revivre.
L’Esprit de Caïn est un film qui parle du cinéma de Brian De Palma avec tous les codes des films de De Palma. Poussé à son extrême, il semble même, par moments, une véritable parodie avec son histoire et ses péripéties totalement incongrues qui ne sont là que pour servir des thèmes et des figures qui hantent le réalisateur. Le jeu même de John Lighgow qui semble prend plaisir, comme son réalisateur, à monter les curseurs paraît un élément évident : le film pousse plus loin les mécanismes du théâtre et du cabotinage. Brian De Palma s’amuse et le spectateur est invité à prendre part au jeu. S’il s’y refuse, il va évidemment éprouver le sentiment que le film en fait trop, que l’histoire est sans queue ni tête et que les clichés les plus éculés (le suspect qu’on interroge de façon isolée dans un coin reculé sans menotte) sont présents simplement pour servir le récit. C’est en partie vrai. En partie car où De Palma fait surtout du De Palma, c’est dans sa réalisation. En choisissant, une nouvelle fois, de privilégier une caméra virtuose qui s’éclate lors d’un extraordinaire plan séquence qui permet de traverser quasiment tout un commissariat ou d’un final où la caméra joue à faire l’ascenseur autour, justement, d’un ascenseur où se cache (comme dans Pulsion) un tueur déguisé en femme, la forme est clairement privilégiée au fond.
Déroutant par sa stratégie narrative (notamment dans un « Uncut » particulièrement jouissif), le résultat ressemble à un immense terrain de jeu où le réalisateur a remis en place ses jouets favoris qu’il s’amuse à balader dans son univers. Film raté où Brian De Palma est incapable de se renouveler ou film malin qui montre que le maître peut continuer à réinventer le cinéma en s’autocitant avec malice ? Indubitablement, je vote pour la deuxième option, la musique de Pino Donaggio, elle-même, semblant une variation de celle qu’il a pu composer pour son comparse. Pas totalement aboutie, la démarche générale du film mérite d’être saluée et le film en lui-même réévalué.
7,5