Si au cours d'une conversation sur De Palma, votre interlocuteur détourne le regard un peu embarrassé, ne faites pas l'étonné. Car à moins d'être dans le déni le plus total ou d'avoir vécu les vingt dernières années dans une cave, le beau Brian a bel et bien rendu les armes. Sorti en 1998, Snake eyes a achevé un voyage en terres expérimentales et fortement sexuées. Jamais l'auteur de Scarface ne retrouvera les cimes du Box office ou la grâce de ses fans de la première heure (à quelques exceptions près). Depuis six films, un style érodé surnage au coeur d'une débandade en tentant vainement de sucer une moitié de Viagra pour retrouver une vigueur perdue. Durant les deux dernières décennies, Il y eut, à vrai dire, quelques éclats ici et là. Pour une tentative réussie de sauvetage dans Mission to Mars ou un assassinat dans l'adaptation feignante du Dahlia Noir, il faudra se fader un quintal de recyclage sur le fétichisme ou encore entendre les crépitements des fusils d'assauts de Redacted pour nous tenir éveillés. Rien à faire, quelques années plus tard, la théorie de Domino aura achevé la bête dans la reconquête de son public. Comme Woo ou Argento, De Palma a marqué le cinéma de son empreinte et comme tous les grands stylistes, le grand plongeon s'est transformé en gros plat douloureux. La caméra a mal à sa fierté.
Si la fin de carrière du réalisateur de L'Impasse est autrement plus catastrophique que celle du Master Hitchcock, elle donne tout de même l'opportunité de se tourner vers des oeuvres qui n'ont pas eu les honneurs lors de leur sortie. Entre en scène L'Esprit de Caïn , thriller bombardé aux radiations cyniques de son auteur. De Palma est loin d'être un benêt, il sait que les attentions vont se cristalliser autour de ce nouvel essai surtout après l'échec du Bûcher des vanités. On peut facilement imaginer la truffe du spectateur à la sortie de la séance. Caïn écrase les données antérieures dans le domaine de prédilection du réalisateur pour refondre son style dans la comédie noire. "Un cadeau" pour les aventureux toujours pressés de décortiquer les objets cinés non identifiés. Un calvaire pour les premiers degrés toujours noyés dans le chagrin de la fin de Blow out, le pif à jamais cocaïné façon Montana. Et c'est un fait, Caïn déballe à la gueule du spectateur une écriture tarabiscotée lardée de personnages grotesques. Un emballage soap opéra vaporeux composé de beaux minois lisses (Steven Bauer et Lolita Davidovich) où les unités de lieu et de temps ne font jamais corps avec le récit. Le tout est badigeonné de mutations thématiques Hitchcockiennes à cheval entre le racé Pulsions et l'éternel Psychose. Visionner L'esprit de Caïn comme l'envisagerait De Palma reviendrait à mater Hitchcock en slip Kangourou avec une auréole pisseuse sur la poche. On parle ici de vulgarité en stade terminal. Rappelons à nos bons souvenirs le plan braguette (et le son du zip qui l'accompagne) sur Carter (John Lithgow) s'apprêtant à honorer sa femme ou encore le magistral coup de boule de ce dernier donné à un médecin atteint d'un cancer (!!!) avant de lui dérober sa perruque. Des percées humoristiques dignes des Zucker Abrahams Zucker, il fallait oser l'emprunt.
Il n'y avait que De Palma pour violer les barrières invisibles d'un genre qu'il a lui-même mis en place. Sinon comment expliquer que le film gagne un peu plus à chaque vision ? Derrière ses usages de thriller "De Palmien", Caïn brouillerait les pistes du genre virant avec gourmandise vers la farce noire tout en conservant sa charpente vaudevillesque et policière. A contrario de Femme fatale qui tentait de mimer les grands crus passés, Raising Caïn se love dans l'horreur et dans l'humour accentuant l'idée d'une auto-dérision chez l'auteur.
Tout est dédié au Dieu caméra ou savoir-faire du réalisateur qui ne compte aucunement sur son script pour combler les déficiences évidentes de sa narration. L'esprit de Caïn est la bouture magique entre Les feux de L'Amour et la tonalité d'un opus de ce bon vieil Alfred. Pas sûr que l'auteur de La Mort aux Trousses aurait pu apprécier un hommage emballé dans du papier journal.