Contre toute attente, le thème de L'Esquive n'est pas forcément la banlieue mais le langage lui-même. Ces jeunes sont étouffés par l'ennui, par leur vie morne comme par les mots de Marivaux. La scène d'introduction avec ce dialogue de sourds où tous ces jeunes se comprennent, sans construire aucune phrase complète et sensée, est particulièrement éloquente.
Les scènes dans la classe de français sont hurlantes de vérité (Bégaudeau a dû pâlir en observant ce qu'était réellement l'enseignement aujourd'hui)
Le jeune Krimo se laisse écraser par la réalité, par sa timidité... Il ne fait qu'esquiver toutes les occasions qui se présentent à lui. Puis ce tic langagier, ce bruit à la fin de chacun de ses mots, ce "putain" écorché, déformé par des années et des années d'articulation douteuse est superbement employé et démontre à lui tout seul les dérives du langage (même si celui-ci doit évoluer j'en conviens aisément)
Seule comédienne "professionnelle", Sarah Forestier s'en sort si bien qu'elle ne perdra jamais cet accent des cités par la suite, cette façon de gueuler à toute vitesse sans jamais parler .
Un point noir pourtant, la séquence d'arrestation de ces jeunes qui ne font a priori rien de mal, insérée dans le montage pour quoi ? Choquer ? Montrer une certaine réalité ? Débile. La flic qui prend le bouquin de Marivaux en le balançant... Quoi ? Le spectateur doit se dire "han mais la police ne voit même pas que ce ne sont pas de sales jeunes mais des férus de littérature et de théâtre... blablabla." Non ce sont des jeunes qui ne comprennent rien aux textes qu'ils déclament, qui préfèrent une Playstation aux planches et aux applaudissements. D'accord la brutalité policière n'a pas de raison d'être... Mais elle n'a jamais aucune raison d'être de toute façon.
Enfin, le film explique les raisons de la déplorable qualité du cinéma franco-français : comme la plupart des jeunes (pauvres, middle class ou riches) parlent de la même façon, lorsqu'ils doivent jouer la comédie, ils ne peuvent s'en sortir qu'en déclamant comme Jean Lefebvre !