"L'étrange Monsieur Victor" est un film que j'avais vu une seule fois il y a bien longtemps (années 70, peut-être). Il était impossible, à mon grand regret, de trouver ce film en DVD. Un peu de patience ! et le voilà disponible après un bon travail de remastérisation !
C'est un film noir de Jean Grémillon qui joue sur les ambiguïtés du personnage de Victor, bon et honnête commerçant toulonnais pour la face éclairée et receleur pour la face obscure. Oui mais voilà, même le soleil de Provence, même le (bon) accent chantant du sud ne peuvent empêcher les saloperies de se produire et d'envoyer un innocent au bagne pour un crime qu'il n'a pas commis.
C'est un peu la trilogie marseillaise de Pagnol en négatif. Raimu n'est plus un patron de bistrot mais un patron de bazar. Ce n'est pas Pierre Fresnay qui va naviguer au loin pour y faire de l'"océanographique" mais c'est Pierre Blanchar qui part au bagne. Ce n'est pas Orane Demazis qui pleure son fiancé mais Viviane Romance qui se réjouit d'être enfin débarrassée de son mari.
Edouard Delmont n'est plus le toubib mais un commissaire de police…
Par contre il y a toujours les parties de boule "je pointe ou je tire " et la mer. Enfin la mer, ce n'est pas la même dans les deux films : chez Pagnol elle est au delà du vieux port et au delà du "feriboite" d'Escartefigue. Tout le monde en parle de la mer car elle est nourricière. Ici , c'est la rade militaire de Toulon avec les navires de guerre et les sous-marins en ombre chinoise qui constituent un fond un peu menaçant. Personne n'en parle.
La trilogie marseillaise en négatif, quoi !
Le casting repose essentiellement sur Raimu. Grémillon va prendre plaisir à trouver le défaut de la cuirasse, pourtant bien épaisse chez l'acteur. Le personnage se distingue toujours par le format mahousse mais aussi par une faconde à nulle autre pareille. Excellent pour fourguer un cadre entouré de coquillages à une veuve (dont le mari est mort justement d'un abus de coquillages). Un peu lourd toutefois dans son angoisse sans mesure ni nuance lors de l'attente de son premier nouveau-né (j'avais un peu l'impression de revoir certaines scènes de Fanny de Pagnol lors de la naissance de Césariot ).
Pierre Blanchar dans le rôle du faux-coupable dont il n'a peut-être pas forcément conscience sachant que le jour du crime il s'était pris de bec avec la victime qui draguait ouvertement sa femme. A la suite de quoi, il s'était pris une biture carabinée et donc ne savait pas forcément où il en était.
Viviane Romance a le rôle de l'épouse de Pierre Blanchar et, elle par contre, elle sait parfaitement où elle en est, en profitant, vite fait sur le gaz, des déboires du mari pour obtenir le divorce.
Madeleine Renaud joue le rôle de l'épouse gentille et serviable de Victor, un tantinet effacée et manipulable jusqu'au moment où elle devine que Victor lui ment. Grémillon fera un beau portrait du personnage en pleine lumière ou dans un clair obscur suivant les sentiments - nobles et honnêtes - qui animent le personnage.
Il reste bien sûr la galerie habituelle des seconds rôles des films qui se déroulent dans le midi entre Charles Blavette, Edouard Delmont ou Andrex.
Au final, c'est un film captivant car Grémillon, en bon metteur en scène, prend la peine d'installer soigneusement ses personnages avant de lancer l'action. Même si on peut se douter de la fin probable, on ne sait rien de l'évolution des personnages. Toute l'astuce du réalisateur va consister à avancer à couvert sans finalement dévoiler les véritables intentions des personnages et en particulier celles de Victor.
Tout le travail de Grémillon se retrouve dans le jeu et l'importance de la lumière.