L'Etudiant de Prague est un film formidable, un joyau tout droit sorti de l'Allemagne torturée du début du XXe siècle. Son esthétique est moins expressionniste que ne le sera celle de Caligari, mais je rapprocherais pourtant L'Etudiant de Nosferatu de Murnau. Il exploite en effet à fond le thème du double et la théâtralisation de la vie humaine, hantée par des forces incontrôlables.
Ce film exhibe la noirceur de l'âme humaine : notre étudiant est mélancolique jusqu'à l'insolence (il refuse obstinément les plaisirs légers de la vie, la danse, l'amour simple, les festivités) et rêve d'élévation sociale. Balduin se sent bien au milieu des mondanités de la noblesse décadente, avec sa bien-aimée la comtesse Margit. Il se pavane avec ses talents d'escrimeur.
La bohémienne qui cherche à le séduire, Lyduschka, est un personnage particulièrement réussi. Sorte de fantôme omniprésent, qui donne toujours la pichenette pour que le pire arrive, elle n'est pourtant pas une vengeresse le couteau entre les dents, en fait elle n'a rien d'effrayant.
La pauvreté de l'étudiant devient prétexte à une grande avarice : il croit rouler un dandy avec un haut-de-forme, Scapinelli, en signant un contrat maléfique lui octroyant 100 000 pièces d'or... contre ce que Scapinelli désire à l'intérieur de sa modeste chambre d'étudiant. Évidemment, il n'y a rien de valeur ou d'intéressant dans sa chambre. Si ce n'est son image dans le miroir, qui se matérialise et s'émancipe.
Du coup, le scénariste H. H. Ewers utilise le thème faustien du pacte avec le diable, qui est un contrat de dupe ici : en perdant son image, Balduin perd le contrôle de sa vie alors qu'il croit être parvenu à ses fins. Au lieu de l'amour et de la richesse, il trouvera l'angoisse et le malheur.
L'histoire, parsemée de belles citations de Musset sur les encarts, n'est pas sans rappeler le Dr Jekyll et Mr Hyde de Stevenson. Pourquoi ne pas aller jusqu'à dire que le film exprime à sa façon ce qui est en train de se passer en Allemagne, la chute de la noblesse qui s'enferre dans les futilités, vestiges d'un passé glorieux, pour laisser la place aux pulsions violentes, incarnées par le double meurtrier. L'Allemagne, comme on sait, ne parviendra pas à exorciser ses propres démons, telle le héros d'un film expressionniste, qui finit rattrapé par la folie et la mort.
L'Etudiant de Prague a des airs de tragédie, noire et sombre voire horrifique, symbole d'un échec inéluctable, se rapprochant en cela des Trois Lumières de Lang. En le visionnant avec attention, nous avons une réelle expérience cinématographique, dans des décors de châteaux pragois magnifiques, sans parler du cimetière juif aux inscriptions bien mystérieuses. Paul Wegener réalisera sept ans plus tard Le Golem, autre histoire juive pragoise terrifiante...