Bonjour tout le monde,
Voici un sous - titre que je propose à votre sagacité :
L' infernale odyssée de Souleymane.
Notons qu' au moment où j' écris cette appréciation du film /joyau, du film /conscience, du film/ précis, de l ' œuvre cinématographique, non misérabiliste et non moralisante, de Boris Lojkine, il y a des centaines de milliers de citoyens du monde, sans papiers qui " travaillent " durs dans des conditions iniques et salaces , ici et ailleurs.........Ce sont des réfugiés politiques, des errants économiques, bientôt des fuyants des zones de la planète devenues climatiquement invivables......................A nous d' y réfléchir et de trouver, ensemble, des solutions durables , équitables et humanistes !Car, là aussi, les silences des pantoufles, qui se voilent leurs faces , sont aussi inquiétants que les bruits des bottes ou que les stratégies de désignation des boucs ou des chèvres émissaires!
,
- Vous avez dit Migrants ?
- Comme..............
c'est migrant!"
Savez - vous que des gens à vélocipède , électrique ou non, arpentent, nuit et jour, les rues pour vous livrer de quoi manger par exemple...........
Lors des confinements liés à la pandémie de la Covid - 19, ces travailleurs invisibles devinrent beaucoup plus visibles car ces personnes humaines furent autorisées à circuler vu le contexte sanitaire et maintenant Boris Lojkine en a fait un intense film qui témoigne de cela brillamment !
De mon point de vue, le mot migrant est approprié uniquement aux oiseaux et non pour des hommes, des femmes et des enfants ! Aucun mot n ' est jamais neutre ...........
Je vous propose de lire un extrait d'une interview d' Abou Sangaré qui incarne Souleymane :
" Je ne sais pas improviser"....... A propos de la scène conclusive avec l' actrice Nina Meurisse:
"......Quand Boris Lojkine m' a présenté le scénario,ce n' était pas mon histoire. Mais dans cette scène,j' ai mis des choses qui me sont arrivées, depuis ma naissance jusqu'à aujourd'hui."
( Citation d' Abou Sangaré( rôle de Souleymane)/ la revue Positif d' octobre 2024).
Connaissez - vous Boris Lojkine ?
Doté d'un doctorat de philosophie il réalise des films, depuis une vingtaine d'années , et il s' agit d' un cinéaste important de mon point de vue.Nous lui devons:
-"Ceux qui restent" ( documentaire de 2001),
-" Les âmes errantes " ( documentaire de 2006),
- son premier film de fiction : " Hope",
sorti en 2014,
- puis le film ' Camille ", sorti en 2019.
Donc l' histoire de Souleymane est son troisième long - métrage de fiction.
Ici, Boris Lojkine signe un très grand film intègre, lucide, impitoyable, légitimement dérangeant, sans artifice, sobre et efficace!
Le grand prix est totalement mérité lors du récent festival de Cannes( Un certain regard )et Abou Sangaré , qui est un comédien non professionnel, mérite amplement son prix d' interprétations masculine au festival de Cannes du printemps dernier dans la rubrique " Un certain regard".
Dans ce film essentiel, Souleymane dit souvent : " Je n ' ai pas le temps de parler ". car il subit la dictature de son " métier " comme un quasi - esclave livreur , sans papier , et qui est en somme " en servitude " et dépend :
- du propriétaire du compte internet lié à une plateforme de livraison à domicile,
- des responsables de cette plateforme numérique, via les smartphones ,
- des avis des clients priés de "noter " la qualité de la livraison,
- des brouhahas de la capitale,
- de la circulation car Souleymane a uniquement un vélocipède pour rouler dans les rues ' horreurs" de la ville lumière, à savoir Paris,
- du départ du dernier autobus vers la " zone" où il passera la nuit avec d " autres humains dans la même situation que lui, et cetera ...........
Or donc, le premier plan de ce film - choc s' ouvre sur le visage " pâturage et paysage " lumineux de Souleymane, dans une file d'attente et cette scène est muette délibérément.Premier atout du film ! Puis le son émerge progressivement. Puis un plan séquence, Souleymane attend dans une salle, terne et fonctionnelle , de l' OFPRA dont le sigle signifie :
Office
Français
de Protection
des Réfugiés
et Apatrides.
Second atout! Ensuite , un flashback de 48 heures où 'nous sommes les proches témoins de Souleymane tout au long de ses péripéties avec un vélo , les plans séquences sont brefs, nerveux, immersifs puisque nous accompagnons Souleymane, comme son ombre, dans son infernale odyssée physique et mentale sur deux journées. La galère !Troisième atout ! Nous ressentons les affres que reçoit Souleymane tel une " chose " qui vit et crie silencieusement et affolé par ce "taf" inique! Quatrième atout ! Fin du flashback. Nous attendons, tout à côté de Souleymane, dans cette salle d' attente de l' OFPRA. Puis Souleymane entre dans un bureau , terne et lisse, face à une employée de cette institution. Cinquième atout !
Puis Souleymane récite son " histoire " apprise grâce un coach qui veut être payé en lui trouvant une " histoire" pour cocher toutes les cases pour obtenir le statut de réfugié politique, Ici, des sobres et imparables champs / contre- champs entre les deux protagonistes irradient nos sens pleinement! Sixième atout ! Et puis , Souleymane nous conte, nous raconte , nous livre sa vraie histoire de vie face à l' employée derrière son ordinateur. Les champs/ contre- champs sont sobres, impitoyables, intenses, pertinents et sublimement HUMAINS!
La vérité d' un être humain éclate !
Septième atout ! Le comédien Abou Sangaré, non professionnel, est sublimement hallucinant d' authenticité ! Huitième atout!
Dernier plan du film : dehors , le visage pensif de Souleymane. Silence absolu pour cette scène dans le rue de le capitale. Neuvième atout! Vous avez deviné ..........
Effectivement, ce long métrage n' a pas besoin de musique car tous les brouhahas de la ville, toutes les paroles et tous les sons urbains sont une aliénante musique bruitiste, labyrinthesque, obsédante, cinglante et prégnante! Dixième atout ! Puis ....Écran noir .
Écran sans image.
Pas de musique.
Rien .
Moi et ce film .
Nous et Souleymane.
Nous et un miroir non déformant face à l' horreur du néo- libéralisme et ses coulisses.
Nous et l' altérité.
Nos humanités!
Nous et les gens en précarité!
Nous et nos consciences !
Nous et nos cœurs !
Nous et Vous !
Onzième atout !
En sortant de la salle de cinéma, où j' ai eu la chance de voir, de regarder et de ressentir cette authentique œuvre cinématographique avec une belle personne concrètement humaniste, je suis certain que je ne serais pas tout à fait le même face aux réalités humaines induites par un système économique mondialisé inique, doucement sadique, salace, délibérément odieux, systématiquement et durablement aliénant et qui nous isole dans la multitude des quidams atomisés par la dictature du fric / frac concentré dans peu de mains et, en parallèle , des errances vécues par une multitude de gens qui subissent ..........Mais ce film, noir ou lumineux, nous fait savoir ceci :
Réfléchir ...puis ....
Comprendre ....puis...
agir !
Douzième atout!
Oui ! Les douze atouts de " l' histoire de Souleymane ' ont le mérite de nous mettre en état d' humanisme lucide et solidairement tourné vers autrui .............
Une citation qui fait bien méditer :
« Le réel nous fournit tout ce qu’on peut et doit raconter»( citation de Boris Lojkine).
Soulignons que ,pour tourner ce film et ainsi suivre, de très prêt, le parcours de Souleymane dans les rues parisiennes, plusieurs personnes du tournage prirent des bicyclettes avec des caméras portées, des microphones pour les prises de son , et cetera .............
Ce qui donne une totale sensation immersive fort réussie.
" L’Histoire de Souleymane" se place dans le riche sillage du néoréalisme italien ("Le Voleur de bicyclette" de Vittorio De Sica). On pense aussi à une tragédie de Racine : unité de temps et de lieu, avec une montée vers un dénouement qu’on imagine peu favorable à Souleymane. On est nécessairement mal à l’aise d’un bout à l’autre de ce film , certes, mais on en sort plus lucide avec l' envie d’en discuter et on est bien d’accord pour dire qu’il s’agit d’un chef-d'œuvre !
Vous allez , peut - être, penser :
"Qui est on ? " A cette interrogation je vais écrire : " On est celui ou celle qui veut essayer de comprendre le monde !"
Sans aucune fioriture, cet ouvrage cinématographique nous questionne savamment et simplement !
Que pensez - vous de cette forme filmique essentielle et totalement actuelle que vous venez de recevoir ?
Fraternité et Sororité !
A vous .
Gérard Michel