Thriller social captivant de bout en bout, L’Histoire de Souleymane s’appuie sur un parti pris cinématographique réaliste et parfaitement maitrisé autant qu’il véhicule d’épatantes valeurs humanistes.
Dans un style nerveux qui traduit parfaitement l’urgence de son héros, Boris Lojkine met en lumière un invisible, l’un de ces fantômes qu’on croise tous les jours sans vraiment les regarder. Originaire de Guinée, Souleymane est demandeur d’asile. Pour survivre, il livre des repas et essaie chaque soir de ne pas rater le bus du Samu Social qui lui offrira un lieu où dormir. Parallèlement, il apprend par cœur « son histoire », celle qui doit lui permettre d’obtenir le précieux sésame qui l’autorisera à vivre et à travailler en France.
Car c’est un cercle vicieux : sans papier, pas de boulot. Souleymane doit par conséquent « emprunter » une identité et sous-louer un compte livreur susceptible d’être suspendu à la moindre erreur, au moindre doute. Et sans garanti de voir un jour la couleur de l’argent qu’il aura gagné.
Il se retrouve à la merci d’un système pervers surexploitant la misère, où les moins précaires profitent des plus faibles qu’eux. Au bout de la chaine, les sans-papiers n’ont d’autres choix que d’accepter des conditions inhumaines et humiliantes pour survivre, à peine.
On assiste, un peu impuissants, à ce quotidien aux allures de parcours du combattant qui doit l’amener à cet entretien deux jours plus tard. Jusqu’à là, L’Histoire de Souleymane est traversée par une intensité à couper le souffle.
Ce récit pourrait être plombant, lugubre, mais il est porté vers la douceur et la lumière grâce à la performance solaire de son acteur principal, Abou Sangare, comédien non-professionnel, lui-même en quête d’une régularisation qui lui a été refusée… Une éclatante révélation. La profondeur de la voix, les nuances dans le phrasé, les variations dans le regard ou dans le langage corporel, le jeune homme fait preuve d’une expressivité et d’une justesse d’interprétation impressionnante.
Bien consciente du joyau qu’elle a devant elle, la caméra ne le lâche jamais et la mise en scène se met entièrement à son service. Elle capture chacune des émotions qu’il exprime à l’écran, du soulagement d’un bus attrapé à la dernière minute, à la panique en pensant aux conséquences d’une livraison ratée, en passant par le calme des conversations avec ses proches restés en Guinée et qui expliquent en grande partie son départ. Elle traduit l’équilibre précaire que cette survie induit en déroulant un fil narratif sec, sans gras, qui va à l’essentiel et montre le nécessaire.
Social mais pas militant, L’Histoire de Souleymane livre un constat brut qui se suffit à lui-même. Un témoignage sublime et bouleversant, essentiel même.