L'Histoire de Souleymane, de Boris Lojkine, s’impose comme un regard acéré sur une existence en suspens, celle d’un migrant guinéen sans papiers errant dans les interstices d’un Paris qui ne lui appartient pas. En deux jours, synthétisé en moins de deux heures, le film explore les combats qui rythment son quotidien jusqu'à un entretien qui pourrait sceller son sort.
Avec une caméra qui ne lâche jamais son protagoniste, Lojkine opte pour une approche immersive. Ici, tout devient matière à suspense : une pizza abîmée, un accident, un regard ou une parole de trop. Souleymane devient le témoin tragique d'une société fracturée, où chaque interaction, qu’elle soit empreinte de compassion ou de mépris, révèle une stratification implacable. Lojkine refuse le pathos et le discours explicatif, préférant une écriture des corps et des comportements.
Le dévoilement tardif de l’histoire personnelle de Souleymane agit comme un acte de réappropriation. Ce n’est pas une confession imposée, mais une déclaration choisie, un défi lancé à un système qui voudrait figer son identité. Dans cet acte, Souleymane trouve une dignité tragique et héroïque. Il n’est pas simplement un homme sans histoire, mais un homme qui refuse de laisser les autres écrire son récit.
Cette chronique sociale s'apparente à une cartographie ethnographique, dans laquelle le spectateur pénètre les strates d'une société restreinte, faite d'interactions codées, de non-dits et de hiérarchies tacites. Chaque interaction devient une clé de lecture d’un monde plus vaste. En confinant son action dans cet espace-temps resserré, le film atteint une vérité : celle de l'humain face à l'indifférence.