Depuis que j’ai découvert le cinéma muet, et que j’en suis venu à l’apprécier, j’ai toutefois toujours la hantise de tomber sur un film sans musique, ou sans intertitres. Malgré toute la bonne volonté du monde, le spectacle d’images sans le moindre dialogue, sans autre narration que visuelle, me paraît une expérience encore trop extrême. Et pourtant...
Sans prendre le temps de lire le synopsis, ne retenant que sa 8e place au classement Sight & Sound 2012 des plus grands films de tous les temps, je me suis installé devant « L’Homme à la caméra » de Dziga Vertov.
D’entrée, le film nous annonce froidement ce dont il va traiter, ou plutôt, ce qui n’y figurera pas.
Il n’y aura pas d’histoire, pas de scénario, pas de dialogue, pas d’intertitre, pas d’acteur. Avec une précision clinique et un souci de réalité, Vertov se contentera de filmer les hommes, la ville, la vie, tout simplement.
Cet homme et sa caméra nous emmènent dans les rues d’Odessa (Ukraine), que nous suivrons d’abord sur une journée. Du vagabond affalé sur le banc public que l’on chasse sans ménagement à l’aurore, à la toilette matinale d’une femme, la ville s’éveille. Ses rues ne tardent pas à être noires de monde, tandis que fiacres, automobiles et tramways en traversent les larges avenues.
Il n’y a nul repère temporel dans l’œuvre de Vertov, qui mêle habilement les thèmes et les saynètes de la vie quotidienne : journée de travail à la chaîne, vacances à la plage, le sport, et même la naissance d’un enfant.
Plus intéressant encore, le film propose une mise en abyme presqu’absolue. Il s’ouvre en effet sur une salle de cinéma, que les spectateurs commencent à remplir. Leur film – qui est aussi le nôtre – démarre alors. Mais, le cinéaste va encore plus loin, et va jusqu’à intercaler, entre les scènes que j’ai mentionnées plus haut, des plans où l’on voit un homme et sa caméra, lui-même en train de filmer les mouvements de foule aperçus au plan précédent ! Sur d’autres encore, une opératrice s’attelle au montage du film que nous sommes en train de voir.
Vertov nous propose également des angles de caméra exceptionnels, crée un rythme très particulier avec un montage très rapide, qui s’accélère et alterne entre les différentes scènes (bien que, la technique étant reproduite à plusieurs reprises dans le film, elle perd son efficacité).
Il y a quelques véritables moments de grâce dans le film, des scènes géniales qui viennent, fort heureusement, renouveler l’intérêt du spectateur.
« L’Homme à la caméra » est une œuvre unique, tant pour sa mise en abyme démente que pour sa volonté absolue de ne pas insérer le moindre élément de narration. C’est là que réside, selon moi, le principal problème : en dépit de quelques scènes vraiment inspirées, le film est, dans sa globalité, passées les premières surprises et découvertes, très ennuyeux. Certains passages sont trop longs, d’autres encore me semblent manquer d’intérêt. Au final, les soixante-huit minutes que dure le film paraissent facilement deux heures.
Une expérience trop absolue pour moi, je le concède volontiers, mais qui plaira sans doute à d’autres.