"L'homme au bras d'or" est un film noir d'Otto Preminger réalisé en 1955.
On dit de ce film qu'il marque l'histoire d'Hollywood car les discussions avec les commissions censure furent épiques pour arriver à obtenir le droit de parler au cinéma de drogue, d'addiction à la drogue et de désintoxication qui faisaient partie des sujets tabous non autorisés dans le code Hays. Sur la base de la constitution américaine, Preminger réussit à arracher l'accord de l'organisme MPA. Ce fut une première et grande brèche dans le processus d'obtention du visa d'exploitation puisque dès lors, l'influence de la MPA aurait décru peu à peu.
Ceci est un peu du domaine de l'anecdote qu'il convient de noter. Parce que même aujourd'hui ce film attrape le spectateur aux tripes dès les premières images. Si on regarde le film pour la première, les premières images sont presque anodines ; si on a déjà vu le film et qu'on connait donc l'histoire, alors on sait que les premières images ne sont qu'un écran et qu'on commence à se faire du souci pour la suite.
Ce film est une tragédie pure. Frankie revient d'une cure de désintoxication, guéri, avec, enfin, une perspective d'avenir pour devenir batteur dans un orchestre et se sortir de la mouise dans laquelle il a pataugé pendant tant d'années. On le voit revenir dans son quartier où il retrouve ses anciens "potes", un petit escroc pas méchant puis un organisateur de jeux clandestins nettement plus méchant pour finir son ancien pourvoyeur qui est une belle ordure…
La mise en scène est simple mais d'une très grande efficacité : premir plan en plongée, on voit un bus arriver, Frankie, souriant, en descendre. Jusque là tout va bien. Puis des mouvements de caméra (travelling) le montrent marchant dans la rue et on se rend compte que l'arrière-plan est juste un quartier sordide et sale avec des bars, des maisons de prêt sur gage, des gens qui circulent, pas vraiment nets. La caméra et Frankie s'approche d'un bistrot et zoome l'intérieur où on découvre des voyous qui sont en train de se moquer d'un handicapé et probablement de l'arnaquer. Frankie vient de retrouver son quartier général et là, on prend peur pour lui. Pendant la première moitié du film, Frankie sera face à son destin en train de descendre une spirale infernale où les bonnes résolutions sont en train de fondre comme neige au soleil. Rien ne semble pouvoir retenir Frankie sur la pente fatale y compris sa femme en fauteuil car paralysée suite à un accident dont il fut responsable. On pourrait penser que sa position de victime puisse constituer un frein à la déchéance, un moyen de retour à la raison. Mais non.
Bon, je n'en dis pas plus mais le travail de mise en scène est redoutablement efficace avec des mises en perspective des personnages, par exemple. Que du classique vous me direz mais c'est diablement bien fait car le personnage en retrait, parfois dans l'ombre ou surgissant de l'ombre, est souvent en position dominante sur le personnage au premier plan. Frankie face à son destin et insuffisamment armé pour l'affronter.
Parlons du casting avec un Frank Sinatra dans le rôle de Frankie qui fait un sacré numéro. On sent que l'acteur s'est complètement investi dans son rôle. Il est très convaincant dans ce personnage de faible, qui se raccroche désespérément à son rêve de devenir batteur qui semblait si accessible au début. L'estomac du spectateur, serré lors de sa première audition, se détend aux premières notes où tout semble aller pour le mieux jusqu'à ce que tout s'emballe. L'échec sera consommé sans un mot.
Autre personnage passionnant, c'est Molly, une ancienne copine, entraineuse dans un bar, qui a toujours vécu en galère dans ce quartier pourri. Mais elle est une sorte d'ange dans ce cloaque, auquel se raccrochent d'autres personnages faibles, comme à une bouée. C'est une sublime Kim Novak, encore très jeune puisqu'elle a 22 ans et ne tourne que depuis deux ans. Son regard exprime la bonté, l'empathie et elle tentera de venir en aide à Frankie dans une scène très forte de sevrage radical.
Le rôle de l'épouse infirme et manipulatrice de Frankie est tenu par Eleanor Parker qui est assez crédible dans ce personnage ambigu qui joue avec la culpabilité de Frankie.
Autour de ce triangle, gravitent des personnages qui sont des gueules de cinéma comme Arnold Stang dans le rôle de Sparrow (petit moineau), le copain vaguement escroc ou d'autres qu'on croise parfois dans des westerns ou des films noirs.
Au final, "l'homme au bras d'or" est une œuvre puissante, sombre, efficacement appuyée par une musique d'Elmer Bernstein très jazzy qui met en scène un couple Sinatra/Novak. A la fin, le film laisse une petite place, fragile, à l'espoir. Très beau film de Preminger.