L'Homme que j'ai tué par Ochazuke
Un boitier sobre pour emballage, une typo bâtonnet rude et sans fioritures et une photo des deux protagonistes qui se regardent presque à la dérobée, bref, je ne savais à quoi m'attendre. Que signifiait un packaging si sobre ? Celui d'une œuvre mineure mais voilà... Lubitsch en haut, je ne pouvais me le refuser.
Lubitsch m'était synonyme d'une certaine folie, de comédies intelligentes et hors-norme. J'ai vu quelques oeuvres muettes absolument géniales et dingues des années 20 et ses œuvres américaines des années 40 : deux univers de grande qualité, deux approches du cinéma divergentes et fabuleuses. Alors que trouver entre ? Quel lien entre ces deux périodes ?
En plus, comme d'habitude je ne lis ni les résumés des jaquettes ni les commentaires et notes sur SC, donc naïvement je pensais voir un polar.
Imaginez ma crainte après le scène initiale : un jeune français, un an après l'armistice, va s'effondrer de culpabilité dans les bras d'un prêtre pour avoir tué un allemand, mort dans ses bras, un alter ego victime de la guerre, qui ne demandait qu'à rentrer chez lui.
Rongé par le remord, cet homme décide de se présenter à la famille allemande pour demander pardon. Et voilà : une situation impossible, un film qui risquait de tourner au pathétisme le plus affligeant, le tout dans une ambiance minimaliste...
Mais c'était sans compter sur le génie de Lubitsch et un jeu d'acteur impeccable, et pour vous décrire de ce qui suit sans trop le faire, la possibilité de cette rencontre nait d'un quiproquo : ce français qui était vu en train de fleurir la tombe et qui a connu le soldat perdu à Paris est considéré comme son ami. Dès lors, il est accueilli comme un roi, porteur de la mémoire du défunt et bien sûr notre héros ne parvient à dire qu'il y a méprise et n'ose plus avouer son assassinat. Dur de passer de la place de l'ami à celui de tueur. La famille l'adore, le père médecin, la mère et l'ex-fiancée de leur fils ; il ressemble à l'enfant disparu et ils le défendent auprès du village qui gronde de colère de savoir accueilli un français sur leur terre, un enfant de cette patrie qui a tué leur propres enfants.
La suite ? Regardez-le. L'exercice était périlleux et presque condamné à l'échec mais la qualité de ces grands réalisateurs est de savoir porter un thème et le filmer sans tomber dans les écueils, ni la mièvrerie ou le glauque, c'est d'être en équilibre sur le fil et nous porter.
Quelle justesse dans la réalisation ! Comment filmer la douleur d'une famille au lendemain d'une guerre des plus meurtrières et la confrontation avec un fils de la nation ennemie ? Comment représenter un discours légitime sur la responsabilité de cette guerre et les conséquences sur sa propre descendance ?
Encore une fois, Lubitsch par le détail, l'anecdote réalise un film qui, même s'il est considéré comme mineur, bénéficie d'une réflexion sur notre propre humanité et son libre arbitre.
Et aussi, techniquement, que des plans parfaits, des prises de vue impeccables et précises, sobres à l'image du contexte !
Une forme de perfection pour un sujet aussi délicat. Une vraie prouesse.
Pour l'anecdote personnelle, ma compagne s'est tournée vers moi à la fin, alors que nous n'avions pas échangé un mot depuis le début, et m'a simplement dit : «Je crois que c'est l'un des plus beaux films que j'ai vu»...
Ainsi je n'étais pas le seul à le penser.