Commençons avec une anecdote plus ou moins constructive : Isle of dogs (1h41) est le film d’animation qui, à ce jour, dure le plus longtemps. Il dépasse de deux minutes Coraline (2009), le chef d’œuvre d’Henry Selick. Quand Wes Anderson “fait son cinéma“, il fait les choses jusque au bout.
Quatre ans après l’immense Grand Budapest Hotel (2014), Wes Anderson nous offre son second film d’animation après Fantastic Mr. Fox (2009). Ce dernier était adapté d’un roman de Roald Dahl ; l’histoire de Isle of dogs est, quant à elle, originale, conçue par Wes et ses amis Roman Coppola, Jason Schwartzman et Kunichi Nomura.
Si le scénario n’est pas radicalement original (de par sa structure plutôt classique et les nombreux gimmicks andersoniens - Wes Anderson étant le seul pour qui le mot ‘gimmick’ n’est pas négatif), l’atmosphère du film l’est.
Wes est, depuis La Famille Tenenbaum (2001) un fantastique créateur d’univers, à la créativité débordante et au sens du détail exacerbé et sa dernière oeuvre cinématographique ne fait pas exception à la règle.
Isle of dogs est visuellement merveilleux. Les décors et les personnages sont sublimes ; les chiens sont criants de vérités de leurs poils à leurs regards… et sont même, en fait mieux rendus quand les humains.
Grâce à l’animation, Wes n’a plus besoin de composer avec le décor : c’est lui qui compose le décor et cela se ressent dans la réalisation. Plus symétrique que jamais, pas un plan ne “fait tâche“ : son envie - besoin ? - de précision s’affirme de métrage en métrage, il développe même dans celui-ci un mode de conversation sur plusieurs plans ou la caméra avance et recule entre les personnages au premier, second et arrière plan lorsqu’ils parlent.
Comme dans Fantastic Mr. Fox, il met pour le doublage un point d’honneur à utiliser des acteurs et non des comédiens de doublage (et ce même pour la V.F. où il a lui-même choisi certains acteurs). D’une certaine façon, cela décale légèrement le film de ce qu’il pourrait être, le plaçant dans une atmosphère, une attitude particulière puisque chaque voix, même n’apparaissant qu quelques secondes, est susceptible d’être reconnue par le spectateur averti.
On notera également la façon dont sont utilisées les langues dans l’oeuvre. Partant d’une idée simple : chiens et humains ne parlent pas la même langue, dans le sens où ils ne se comprennent pas dans le film. Japonais et Anglais sont alors opposés sans que le premier soit rendu intelligible pour le spectateur.
L’histoire étant racontée du point de vue des chiens, ce sont eux qui parleront anglais (ou la langue dans laquelle le film est doublé). Habile.
On ne regrettera qu’une sorte facilité qui consiste à faire traduire les interventions du maire Kobayashi en direct par une interprète (et quelle interprète… doublée par Frances McDormand). L’intention cinématographique d’éviter de banals sous-titres est compréhensible venant d’un réalisateur jusqu’au-boutiste tel que Wes Anderson, mais c’est assez artificiel et cela rompt la fluidité du film. Toutefois, une majeure partie de l’intrigue passant par ses interventions officielles, le spectateur n’est pas exclu des événements.
L’animation n’étant pas prétexte à établir une rupture, Isle of dogs s’inscrit parfaitement dans la continuité de la filmographie du réalisateur : on y retrouve la plupart des gimmicks andersoniens. Avant tout chose, le thème de la famille (et une famille dont le fonctionnement n’est pas exactement parfait, si possible), un héros - pas une héroïne - orphelin, des zooms, des regards caméras qui s’éternisent, une pièce de théâtre, un dictaphone, d’innombrables caméos de stars (celui de Yoko Ono est sans doute le plus improbable), et ainsi de suite.
Plus andersonien que jamais, Isle of dogs est presque parfait. On ne peut que lui souhaiter d’avoir - au moins - autant de succès que son prédécesseur, qui avait dépassé le million d’entrées en France.
Une seule question demeure : Wes peut-il continuer sur cette voie éternellement ? Sa créativité semble pour le moment sans limites, dans le cadre de ses propres codes et de son style ; ‘Wes Anderson’ est presque un genre en soi.
En termes de rythme, on n’est pas encore sur la productivité décérébrée d’un Woody Allen… Wes prend son temps et la qualité s’en ressent. Mais n’y a-t-il pas un risque de saturation?
On espère que non.
- : article rédigé en écoutant la bande originale du film, composée par un Alexandre Desplat qui n’avait pas été aussi bon depuis… le Grand Budapest Hotel, tiens.