Grand cinéaste de la famille et de l’enfance (les chef-d’œuvre Nobody Knows, Une affaire de Famille, Tel père, tel fils…) , Kore-eda nous bouleverse à nouveau avec ce drame qui prend place dans un Japon encore très conservateur, étouffé par le poids des traditions et des tabous.
Le réalisateur nippon prend le temps d’installer son histoire et il faut au spectateur appréhender la structure d’une narration à la temporalité éclatée, qui tord et alterne les points de vue.
C’est déroutant et le procédé peut nous perdre au début, mais il permet au réalisateur de mettre en place son récit en y ajoutant très progressivement des briques pour nous aider à le comprendre tout en jouant de fausses pistes et de faux semblants. C’est surtout le cas lors des deux premiers « actes » qui adoptent successivement le point de vue de la mère de Minato puis du professeur qu’il accuse de maltraitance. Tout en restant volontairement évasif, Kore-Eda y expose les conséquences dramatiques de la rumeur et du jugement du statut social. Ce n’est qu’après avoir posé et présenté la vision forcément parcellaire de ceux qui l’entourent que L’Innocence va se recentrer sur Minato, le jeune garçon qui a tout déclenché. Dans une mise en scène élégante et précise, presque aérienne, le réalisateur va mettre en place sa mécanique du drame, subtile et d’une immense pudeur. Il nous remet les clefs de l’histoire de Minato, met des mots et des images sur son mal-être et nous donne les raisons de son mensonge. On comprend tout ce qui nous apparaissait flou jusque-là, c’est violent et dévastateur.
L’Innocence est peut-être moins accessible et évident que certains des meilleurs films de Kore-Eda à cause de la sophistication de sa narration qui empêche dans un premier temps le spectateur d’être tout à fait en empathie avec les personnage, mais son dernier acte et sa conclusion figure sans doute parmi ce qu’il a filmé de plus fort.