Il est des cinémas qui nous désarment et face auxquels on a du mal à intellectualiser une critique, des films dont on sort grandi mais aussi bousculé, d'une façon ou d'une autre mais pour lesquels on est bien en peine d'expliquer à un proche ou à un parfait inconnu ce qu'on entend par cela. Ces films précieux à mes yeux, deviennent de plus en plus rares au fur et à mesure que notre cinéphilie s'enrichit d'expériences toujours plus aventureuses, qui nous sortent de notre zone de confort. L'ornithologue s'inscrit comme l'une de ces expériences et à dire vrai, alors que cela fait déjà deux semaines que je l'ai découvert sans rien en savoir, j'ignore en débutant cette chronique vers où elle va se diriger.

Le film grandit en moi, il essaime dans mon esprit, une graine a été plantée qu'il me faut désormais faire pousser avec tendresse et observer dans une introspection intime ce qu'elle va ouvrir comme nouvelles envies ou simplement comme émotions, comme sensations physiologiques.


Fernando observe sur le cours d'un fleuve qui n'est jamais précisé les oiseaux et plus particulièrement une espèce très rare, quasiment mythologique de cigogne noire, sur cette entame qui n'aurait pas surpris comme introduction à un conte philosophique sur une quête dont on ignore encore si elle conduira le héros à se découvrir lui ou autre chose de l'ordre du sacré ou du sacrilège. Le film nous entraine au fil de l'eau vers un mystère en forme de chemin de croix, dont les stations successifs iront crescendo.

Tout obnubilé par ses observations Fernando, ne s'aperçoit pas qu'il n'est plus dans le contrôle scientifique, d'ailleurs comme un pressentiment, la mise en scène par touches parcimonieuses dévie le point de vue de l'observateur et brouille les pistes si bien qu'on arrive à se demander si ce n'est pas plutôt la nature qui observe l'homme et l'incite à s'exposer à ses tourments, à ses beautés, à ses poisons et dangers si attirants. Cette perte d'appuis le fait chavirer dans des rapides qui marquent pour le spectateur l'irruption du fantastique et pour le héros, le début de son immersion involontaire dans un monde sous jacent à la fois familier et mystérieux, à la fois mystique, spirituel et troublant, nimbé d'angoisses viscérales et de subjugations venimeuses.


S'enchainent alors dans une poésie de l'étrange qu'une mise en scène somptueuse met tout autant en valeur qu'un ancrage évident dans une mystique entremêlant syncrétisme chrétien et croyances païennes diverses rencontres improbables, curieuses, qui conduiront notre héros à emprunter la route qui le conduira à se réaliser, d'une étreinte charnelle s'achevant dans le sang, d'une entrave ouvertement sadomasochiste à des instants de dialogues liant fantastique naturaliste et questions écologiques. L'ensemble difficile à réduire à un seul thème m'apparait comme la rencontre improbable du sens de la perte des repaires entre ce qui est du champ du réel et ce qui est du champ de l'irrationnel qui infuse le cinéma de David Lynch et la zone de l'étrange que nous fait visiter Andrei TARKOVSKI dans Stalker (1979).


Amateurs de cinémas exigeants, esthétiquement remarquables et intellectuellement stimulant, ce film pourrait s'inscrire parmi vos pépites méconnus.

A titre personnel, cette rencontre m'émeut car elle m'est nouvelle et délicieuse.

Créée

le 27 juil. 2024

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