Renoir aux deux visages

Une mauvaise adaptation peut-elle faire un bon film ? « La Bête humaine » aurait plutôt tendance à nous faire répondre oui, aussi infidèle voire bancale soit-elle. Adapter Emile Zola en 987 minutes, ce n'est évidemment jamais simple, et cela se sent, que ce soit dans la fluidité du récit ou certains personnages presque sacrifiés à travers un montage que l'on imagine très conséquent, comme s'il manquait parfois des scènes. On ne retrouve jamais la violence, la brutalité de certains passages du roman, donnant l'impression d'un manque de précision et d'une maîtrise moins grande que d'habitude chez Jean Renoir.

Reste que celui-ci fait des choix, parfois forts, son évident sens du lyrisme, des images, offrant de beaux moments de cinéma, cette volonté de recentrer le scénario presque exclusivement sur le trio « maudit' » se révélant plutôt payant, malgré une Simone Simon pas franchement convaincante dans un rôle complexe, heureusement bien entouré par Jean Gabin et surtout Fernand Ledoux, remarquable. Bref, s'il ne « réussit » pas sa transposition, le futur auteur de « La Règle du jeu », bien qu'inégalement inspiré, signe une œuvre intéressante, élégamment réalisée, exaltant la puissance et la confusion des sentiments avec un talent évident.