Lorsqu’un metteur en scène légendaire se lance dans l’entreprise d’une fresque biblique, en s’attaquant à la Genèse (les vingt premiers chapitres), la démarche apparaît comme toute aussi légendaire que son auteur. Mais le plus fascinant dans ce projet est que, de son propre aveu, John Huston était un Athée convaincu. Contrairement à son producteur, Dino de Laurentiis, qui avait prévu une série de production illustrant l’Ancien Testament, et sa foi, au cinéma.
Le film ne fût pas vraiment un échec, et s’en sorti même plutôt bien lors de son exploitation en salle. Mais il fût si coûteux que la Twentieth Century Fox dû compter une perte significative de 1,5 million de dollars. Bye bye donc l’ambition de De Laurentiis. Au grand soulagement de son espiègle réalisateur, qui lorsqu’on lui demandait quels versets il aurait souhaité ajouter il répondait malicieusement : ‘’Pas un verset de plus !’’
‘’The Bible : In the Beginning…’’ est un objet asez étranges. Prenant clairement sa source dans le visuel des épiques bibliques de Cecil B. DeMille, il est possible de faire un lien net avec ‘’The Ten Commendments’’ de 1956. Magnifiquement réalisé, l’image est d’une élégance rare, les décors époustouflants, (vu le budget, encore heureux), et les comédien.nes sont impliqués, essayent tous d’offrir des performances nuancées, dans cet univers fantasmagorique.
Il plane au-dessus du métrage une ambiance des plus particulière. Comme si c’était une œuvre hors du temps, ce qu’appuie sa linéarité déconstruite, enchainant des séquences sans suite logiques. Des passages important de la Genèse, traités inégalement. Par moment on dirait même que c’est un peu fait ‘’à l’arrache’’. Pour exemple l’épisode de la Tour de Babel, dont le décor est gigantesque, et qui présente l’arrogant Nimrod, est des plus expéditif, et frustrant.
De nombreuses fulgurances apparaissent néanmoins ici et là, dans un plan, une image, une ligne de dialogue, un décor, un paysage. Mais en tant qu’ensemble, ça ne fonctionne jamais tellement. Comme si les versets étaient collés les uns aux autres, sans autre logique que la voix du Narrateur, celle de John Huston, également la voix de Dieu, et interprète de Noé.
Le Narrateur, qui semble donc être Dieu, on ne sait pas trop, récite les passages importants de la Bible, pour éclairer un peu où l’on se trouvent dans la chronologie des évènements. Parfois c’est assez simple, comme lorsque l’on passe d’Adam et Eve à Caïn et Abel, leurs enfants. Mais parfois c’est complexe. Ainsi après le Déluge qui est une longue séquence, juste avant l’intermission, une généalogie est présentée rapidos, pour aller directement à Nimrod, la chute de Babel, et l’apparition d’Abraham. En seulement quelques minutes.
Pour ce qui est de l’individualité des passages contés, indépendamment les uns des autres ils fonctionnent plutôt bien. Ainsi Adam et Eve dans le jardin d’Éden est un savant mélange de poésie, de fantasme et d’onirisme qui vire au cauchemars, dès qu’ils mangent le fruit défendu. Le meurtre de Caïn (Richard Haris) est assez anecdotique, et ne pousse pas suffisamment la réflexion sur son exil, sa descendance, et la naissance d’une civilisation industrielle qui s’est détournée de Dieu. Puisqu’arrive rapidement le long passage sur le Déluge.
Il faut dire ce qui est, l’Arche de Noé est l’un des grands moments de bravoure de l’œuvre. Pour exemple, plus de 45 espèces d’animaux, provenant en majeur partie du zoo de Rome, ont été utilisés. Cela donne vraiment l’impression de voir l’Arche pour de vrai. C’est magistral, dans la mise en scène des flots torrentiels, comme dans la manière dont Noé répond à Dieu. Tout en fantaisie, John Huston campe un patriarche gaillard, un peu couard mais téméraire. Résistant aux moqueries des païens que Dieu se prépare à noyer.
Il y a dans cette séquence tout ce que peut proposer de mieux une œuvre Hollywoodienne, (même si c’est ici une co-production avec l’Italie) dans l’idée que l’on peut se faire de l’épique. C’est grandiose, virtuose, d’une superbe ampleur visuelle. Huston étant un sacré artisan, au point que même ses œuvres mineures sont toujours un cran au-dessus du reste, il le prouve une fois de plus avec cette hyper production (son film le plus onéreux).
Puis bien entendu il y a toute la grande séquence sur Abraham, avec un George C. Scott habité, à qui la peau du patriarche sied plutôt bien. Baignant dans une ambiance totalement différente que le passage sur le Déluge, le film révèle ici toute son ambition. Comme avec les impressionnantes ruine de Sodome et Gomorrhe, qu’arpente le Prophète et son fils Isaac. Celui qu’il s’apprête à sacrifier à son Dieu unique, pour lui prouver sa foi. Un passage fort, dont la dramaturgie dépeint avec l’ambiance ‘’bon enfant’’ qui régnait avant ça.
Loin d’être un film raté, comme il est souvent présenté, pas non plus le chef d’œuvre épique de son réalisateur, ‘’The Bible : in the Beginning…’’ c’est une production paradoxalement modeste. Usant d’un second degré étrange, qui se perçoit, pour exemple, dans le jeu de Huston lorsqu’il interprète Noé. Mais aussi dans la dimension ubuesque de Nimrod, qui détonne avec les personnages présentés jusque-là, issus de peuplades paysannes. Ainsi le ton général est difficile à définir avec des mots. C’est un ressenti qui se vit, et qui se perçoit tout au long du récit.
Ce n’est jamais over-the-top, c’est dans la mesure, même les grandes séquences s’avèrent modestes. Il semblerait que John Huston ait abordé cette œuvre avec une certaine distance, puisqu’il n’y a aucune trace de prosélytisme, où d’interprétations dogmatiques. C’est juste l’adaptation d’une histoire mythique, comme il aurait été fait de n’importe quel bon roman.
‘’The Bible : in the Beginning…’’ est bien loin de l’idéologie diffuse des gigantesques œuvres picturales d’un Cecil B. DeMille ou Joseph L. Mankiewicz. N’en déplaise aux ambitions avortés de Dino De Lorentiis, Huston parvient à faire sienne une histoire millénaire, aux enseignements suivit encore aujourd’hui par environs 2,4 milliards de fidèles. Mais comme tout mythe, et c’est même là ce qui fait sa nature et sa force, ils sont laissés à la libre interprétation de chacun.
Il est ainsi possible de voir ici la vision athéiste de Huston sur les textes religieux. Invoquant la croyance, la foi et la présence d’un hypothétique être suprême, en prenant bien soin d’y développer avant tout le facteur humain de ses protagonistes. Avec une approche décalée et polissonne, se jouant gentiment de la spiritualité avec une approche débonnaire, celle-là même avec laquelle, lorsque l’on a entendu les histoires du bonhomme, il devait aborder l’existence.
-Stork._