Il y a une très grande force dans cette adaptation d'un roman de Simenon. C'est la parfaite adéquation entre le sujet et la mise en scène du récit, entre le fond et la forme. La chambre bleue est autant un film de photographe, d'écrivain que de cinéaste. Le film raconte un fait divers à partir de l'enquête d'un juge d'instruction, un sujet pas forcément simple mais banal qu'Amalric va complexifier et rendre insondable comme une suite de mystères à jamais insolubles - mystère de la culpabilité, mystère de la passion, mystère de l'attraction sexuelle, mystère de la folie érotomane.


Amalric n'affirme rien mais ouvre des portes. Il le fait d'une manière paradoxalement limpide, par fragments, comment autant de clichés photographiques synthétisant une impression, une idée dans un cadre resserré : il choisit pour cela un format 4/3, proche de celui d'une chambre photographique. Mais dans sa volonté de confiner encore plus ses personnages dans une destinée étriqué, se sert parfois d'un rétroviseur, d'une fenêtre ou d'un porte se détachant d'un fond noir.


Fragments d'une passion amoureuse, fragments de corps nus, fragments d'une vie de province, qui renvoient invariablement au travail de mémoire (de la part de Matthieu Amalric, protagoniste principal et accusé) et au travail de l'instruction (de la part du juge) qui ne sont jamais pas linéaire, comme un puzzle d'impressions et d'actions que l'on tente de reconstruire. Le cinéaste dit beaucoup avec peu par le cadrage et l'agencement de ces images, il n'affirme rien, n'assène aucune certitude : le sujet du film reste le(s) mystère(s) et non la résolution de ce(s) mystère(s).


La chambre bleue est un film obsessionnel comme l'est l'esprit de son personnage, opérant sans cesse par association d'idée : une goutte de sang /une tache de confiture, la chambre de l'amour / la cour d'assises toutes deux bleues et baignées d'une lumière similaire.


Mais le plus grand vertige du film est encore ailleurs. Dans un film qui favorise le jeu des regards (ceux de Léa Ducker notamment, femme amoureuse trompée et murée dans le silence), il y a celui de Matthieu Amalric - jusque alors froid - qui comprenant enfin ce qui s'est passé (et qui a tué), semble défaillir et dans le regard de défi que lui lance en retour, la mère de Nicolas (Véronique Alain). Cachée au milieu du puzzle, une image esseulée nous donnerait-elle la solution ?

denizor
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2014

Créée

le 5 déc. 2016

Critique lue 267 fois

2 j'aime

denizor

Écrit par

Critique lue 267 fois

2

D'autres avis sur La Chambre bleue

La Chambre bleue
BrunePlatine
8

Chronique d'une passion

La première scène donne le la : draps froissés, peaux nues, corps-à-corps fébrile entre un homme et une femme. La chambre bleue du titre semble donc le théâtre de rencontres passionnelles. Interdites...

le 5 déc. 2016

17 j'aime

9

La Chambre bleue
Bea_Dls
8

Romance X

Adapté de Simenon, d'un roman assez subversif pour l'époque (1963), la chambre bleue est tout sauf une intrigue policière. Il s'agit plutôt de l'histoire d'une passion racontée comme une enquête...

le 22 mai 2014

15 j'aime

La Chambre bleue
JimAriz
7

Bleue Noir Rouge

1h16, pas plus, pour raconter cette histoire d'amants dangereux qui sont accusés d'avoir assassiné leur conjoint respectifs. 1:33, pas plus, pour mettre en image les tourments affectifs du héros. A...

le 24 mai 2014

10 j'aime

4

Du même critique

Oiseaux-Tempête
denizor
8

Critique de Oiseaux-Tempête par denizor

Le monde appartient aux ambitieux et Oiseaux-Tempête ne nous propose pas un simple voyage post-rock mais une véritable Odyssée dans une musique qui n’a pas encore livré tous ses secrets. Album après...

le 10 janv. 2014

13 j'aime

Pain Is Beauty
denizor
8

Critique de Pain Is Beauty par denizor

Il est amusant de voir la promo de Chelsea Wolfe ramer pour définir la musique de la demoiselle : « drone-metal-art-folk » tel est le genre-valise utilisé pour catégoriser la musique de l’Américaine...

le 28 oct. 2013

12 j'aime

After My Death
denizor
7

Psyché adolescente et autopsie d'une société

Samaria ou Poetry, le cinéma sud-coréen est hanté par les suicidées adolescentes. Nouvelle pierre à cet édifice mortifère, voici After my death, premier film de Kim Ui-Seok. Glaçant. Kyung-min, une...

le 19 nov. 2018

11 j'aime