Large et passionnante évocation des films perdus des plus célèbres cinéastes de l'Histoire La Chambre Interdite est - pour peu que l'on aime l'inexpliqué - une expérience de rêve. Guy Maddin n'a pas son pareil pour travailler la matière même de ses plans, proposant un véritable trip de cinéma. Extrêmement visuelle cette succession d'embryons filmiques affiche sa superbe au gré d'un mouvement permanent et d'une gamme chromatique particulièrement riche voire pratiquement illimitée : bouillonnantes, resplendissantes les images de La Chambre Interdite sont autant de mondes capables de nous délecter de leurs couleurs vitriolées et de leurs nombreuses saillies. C'est là pur chef d'oeuvre formel que cette promenade techniquement renversante, se réinventant d'une scène à la suivante.
Digressif, immersif le film de Guy Maddin renvoie beaucoup aux films surréalistes de Bunuel et Salvador Dali, notamment pour le bouleversement de la structure narrative classique. Malgré son apparence erratique et nonsensique le scénario de La Chambre Interdite demeure très pensé, très construit. On songe également à la littérature agitée, effrénée, débordante de James Joyce et à la cathédrale de prose que constitue Ulysse au regard de la pléthore d'intertitres. Le dispositif adopté par le cinéaste demeure à la fois hypnotique et distancié, puisque les acteurs et leurs personnages se voient littéralement confondus, Maddin les introduisant de manière incongrue par le biais de cartons hérités du cinéma muet.
Impossible d'anticiper l'image qui va suivre : La Chambre Interdite est moins un film à comprendre qu'un film à voir les yeux grands ouverts. Une oeuvre plastique décuplant les possibilités du Septième Art, avec laquelle il faut accepter de se laisser porter par un récit nébuleux mais fascinant, brassant maintes thématiques ( fétichisme sexuelle, violence et cruauté humaine, claustrophobie, vengeance...). Certainement le film de Guy Maddin le plus maîtrisé visuellement, et forcément l'un des meilleurs. Indispensable.