Quand on regarde la filmographie du canadien Guy Maddin, il y a un désir de cinéma qui saute aux yeux : celui de créer à partir du vieux, de rendre hommage au vieux cinéma en le modifiant, en modelant son image et son montage. Il n'est donc pas étonnant d'y voir une démarche expérimentale, très esthétique, quitte à ne laisser au film que sa chair au détriment d'une vraie émotion ou d'un propos.
La Chambre interdite apparaît comme un entremêlement de plusieurs histoires, allant d'un thriller métaphysique dans un sous-marin à un drame vaudevillien meurtrier, en passant par une quête aventuresque contre une tribue sauvage. Les acteurs, venant de toute nationalité, changent parfois personnages selon les histoires, et à d'autres moments les personnages eux-mêmes en sont les liants. Pour autant, contrairement à Cloud Atlas qui avait su donner une homogénéité à l'ensemble, une quête commune entre les personnages, ici les bouts d'histoires se succèdent puis reviennent sans que l'on sache vraiment s'il y a un vrai fil narratif derrière. On pense forcément à Shéhérazade, au conte dans le conte, mais dans ce cas à qui ces histoires sont-elles racontées ? Sans doute au spectateur directement, comme le fait un vieil homme expliquant point par point de manière comment prendre un bon bain.
Finalement, ces quelques apostrophes absurdes (et ce ne sont clairement pas les seuls moments absurdes du film) permettent un recul qui de mon point de vue dessert le film. En effet, plutôt que d'aller pleinement dans la grâce, de profiter de son grain esthétique pour plonger dans l'émotion, le film garde une certaine froideur. Non pas une froideur d'image, mais une froideur des sentiments, comme si le film avait peur de trop virer au ridicule en se laissant aller au mélodramatique. Du coup, sur deux heures de film, le rythme ne tient pas pas tout à fait et fait apparaître un côté vain à l'ensemble, même s'il gagne du coup en humour. Heureusement, parfois, les deux se combinent, comme lors de ce passage musical ridicule mais assez beau sur fond de mattage de culs.
Pourtant, et rassurez-vous je vais en venir aux nombreux aspects positifs du film, il fut impossible pour moi de m'ennuyer durant ces 1h59, grâce à l'incroyable travail esthétique opéré par Guy Maddin. Chaque plan, chaque seconde du film est absolument magnifique pour les yeux et résulte d'un travail graphique finalement très moderne. Ce travail donne aux images une nouvelle temporalité, acquise par le mélange entre l'argentique et le numérique, celui aussi entre les décors en carton-pâte et une image colorée très vive, entre la narration épurée et le montage très vif, parfois épileptique.
En cela, La Chambre interdite est une expérience fascinante et originale, un vrai travail expérimental qui cherche à revitaliser la fiction d'aujourd'hui avec celle d'hier. Un film assurément généreux dans sa forme, même si le fond aurait pu l'être davantage à mon goût. Cela dit, cela fait me demander si la nécessité d'un renouveau du cinéma doit forcément se traduire par un regard vers le passé, si le neuf doit forcément avoir du vieux en lui. Si, tel le sous-marin du film, le cinéma ne monte pas à la surface de peur d'exploser et préfère s'aérer par petits bouts de galettes (bon ma métaphore filée perd de son sens, mais vous comprenez le principe, non ?).