Pour des raisons qui nous échappent, certains distributeurs se sont mis d’accord pour faire sortir leur film le même jour que Star Wars, espérant probablement ramener vers eux des spectateurs déboussolés par la file d’attente monstrueuse qui les attendrait s’ils n’avaient pas songé à prendre leur billet bien en avance. La Chambre Interdite est arrivé sur les écrans cinématographiques dans un contexte qui ne lui est pas excessivement favorable, débouchant sur une sortie réduite à peau de chagrin, dans douze salles françaises, dont deux à Paris même. On peut donc parler d’une distribution assez confidentielle, et qui de par son supposé nombre d’entrées au cinéma restera anecdotique, ce qui, vu le résultat est extrêmement dommage. Parce que ce film méritait mieux. Curieuse avant tout, je décidais de me rendre à Beaubourg le voir, un vendredi matin, l’oeil encore tout endormi en compagnie d’un éclaireur. Je débarquais donc dans une salle minuscule, avec le plus petit écran de ma vie. Nous étions quatre en tout à l’intérieur, sans compter le cinquième élément qui, au bout d’une heure environ prit la tangente. Expérience spéciale, mais éminemment satisfaisante pour mon propre cas.
La Chambre Interdite est un film étrange. Rien ne serait plus approprié que ce mot, plutôt que celui de bizarre : ce n’est pas laid, ni véritablement dérangeant, ou encore négatif. C’est extrêmement beau, cohérent, et à la fois clairement expérimental. Ce projet cinématographique, initié par le réalisateur canadien Guy Maddin, et co-réalisé avec Evan Johnson a été tourné entre Montréal et le Centre Pompidou. Il est irrémédiablement associé à un autre projet, constitué par les mêmes personnes, « Spiritismes ». Les résultats diffèrent, mais les intentions sont les mêmes : fouiller les archives du cinéma, récupérer des projets inachevés, réalisés par des célébrités, ou des inconnus, tourner ces séquences en public, en collant aux scénarios initiaux, et en tirer un objet nouveau, unique en son genre. Il s’agit donc de faire du neuf, avec du vieux, sans néanmoins se contenter de régurgiter une partie de la mémoire cinématographique passée. De fait, le film possède une identité commune avec ce qu’a déjà fait auparavant Guy Maddin : un montage rapide, parfois haletant, avec des situations ou des propos qui relèvent de l’absurde jusqu’au boutiste. Il est impossible de rester assis en regardant La Chambre Interdite de façon passive, car c’est le meilleur moyen d’y demeurer complètement hermétique. La proposition de Maddin est absolue, pousse le bouchon le plus loin possible, tout en gardant une maîtrise assez scotchante de ce qui est montré au spectateur.
En lisant quelques critiques cinématographiques, je me suis rendue compte de la paresse qui en a saisi certains, donnant une appréciation mauvaise au long-métrage qu’ils justifiaient toujours par des termes se rapprochant de « proposition foutraque ». Quitte à faire une remarque légitime, il faut admettre qu’il y a une bonne vingtaine de minutes pendant laquelle le film est long, moins fantasque qu’il pouvait l’être dès sa première heure. Heureusement, cela ne l’empêche pas de reprendre du poil de la bête dans ses dernières envolées. Mais le désordre n’apparaît qu’à ceux qui n’auront pas fait l’effort mental d’adhérer à ce qui nous est offert. Le perfectionnisme n’est jamais bien loin dans La Chambre Interdite, que ce soit dans la joliesse des images, le montage, les écrans avec du texte, les costumes, ou les dialogues complètement hallucinés. Chacune des histoires relatées s’imbriquent les unes dans les autres, à la manière de poupées russes, dont il faut garder en tête le lien pour ne pas finir perdu dans les méandres scénaristiques ; on en revient à cette idée d’absolutisme, et de nécessité d’être pleinement concentré devant son écran, pour ne pas laisser le film nous filer par les oreilles.
Guy Maddin ne fait pas dans le compromis. La Chambre Interdite fait renaître de ses cendres une partie cinéma muet, et quelques techniques photographiques, comme le collodion, en reposant sur un enchaînement de petits scénarios aux situations qui n’ont aucune logique, ni rationalité. Cela fait rire, interpelle, mais le tout rend surtout hommage aux disparus du cinéma, avec une approche expérimentale assez salutaire. On est très loin d’un projet vain, qualifié de « moderne » ou « contemporain », qui serait présenté par un individu dont le manque de pudeur sidérant face à la nullité de sa création nous place soit dans une réaction de gêne et de perplexité, soit dans un rejet tout entier, tourné vers le dénigrement.
La Chambre Interdite va plus loin que la simple mélancolie, liée à un cinéma désormais révolu, plus loin que l’expérimental pour intellectuels qui n’y comprennent pas plus qu’ils veulent bien le faire croire : il s’agit d’une proposition qui nous dévoile un futur alternatif, une vision non pas de l’avenir, mais de ce qui aurait pu être, comme un avenir déjà passé. En somme, un film éminemment défendable, qui mérite par conséquent d’être ardemment défendu.