Précision personnelle importante au sujet du cinéma expérimental.
Il y avait quelque chose de vaguement masochiste de ma part dans cette séance, étant de nature assez frileuse quand il s'agit de se farcir 2 heures de pellicules expérimentales (l'emploi du terme "pellicule" n'est pas totalement injustifié ici). Même l'expérimental un minimum intelligible à la Kenneth Anger, tendance "Lucifer Rising", "Invocation of my demon brother" et autres "Eaux d'artifice, ne m'émeut que très peu, mais je n'avais aucunement conscience du contenu du film avant de m'y lancer. Et au final, si ce fouillis structuré doucement expressionniste ne m'a pas totalement emballé, il n'en reste pas moins fascinant sous certains aspects, dans le registre "l'effet du LSD sans LSD" (choisissez votre psychotrope préféré). Une chose est sûre : programmer la sortie de cet obscur objet du plaisir bien barré le même jour que le dernier Star Wars en France est une initiative assez osée.
Il y a un côté assez surprenant dans "La Chambre interdite", tenant principalement au fait qu'on n'est ni dans l'abstrait le plus total, ni dans le parfaitement compréhensible. Comme si les auteurs jouaient sur cette ligne de démarcation, cette zone d'inconfort, et nous y maintenaient dans un équilibre instable. On est souvent à deux doigts de perdre pied, de ne plus rien y comprendre et de lâcher prise, avant d'être soudainement rattrapé par une séquence clairement intelligible, par une référence voire un retour à une action antérieure dans le film, etc. Petit à petit, armé de ciseaux et de colle, on remet bout à bout et dans le bon ordre les fragments de ce qui ressemble à une trame narrative enfouie sous une épaisse couche de délires visuels. Précisons que n'ayant absolument rien lu avant de le voir, j’étais tout à fait ignorant du procédé, basé sur l'exploitation de scénarios de films perdus dans les limbes de l'Histoire : http://www.grand-ecart.fr/portraits/interview-chambre-interdite-films-perdus-pompidou-winnipeg-rencontre-guy-maddin
Restent des performances d'acteur hautement hétéroclites, un magma esthétique bouillonnant aux imperfections, aspérités, impuretés soigneusement travaillées. Le générique annonce la couleur d'emblée. Un vrai bordel visuel, mais un bordel très ordonné tout de même, duquel peut émerger une certaine lisibilité. Un son chaotique, souvent erratique mais parfois harmonieux, des passages endommagés façon pellicule brûlée ou qui saute, des teintes tour à tour très colorées et très fades, etc. Un vrai festival.
Mais bon, au bout d'un moment, on se lasse. Deux heures sur ce thème, c'est très long, et l'hommage perd peu à peu de sa saveur. On s'agace très vite de ne pas pouvoir lire confortablement les intertitres qui apparaissent de manière aléatoire. Et puis j'ai souvent eu du mal à faire la différence entre expérimentation atmosphérique et jusqu'au boutisme ésotérique virant à la démonstration hermétique. Un peu comme quand on traîne trop longtemps dans les couloirs d'une exposition consacrée à de l'art contemporain et rien d'autre, on en ressort éprouvé, la tête pleine de concepts qui n'ont pas cessé de tournoyer et de s'entrechoquer. On est loin d'une vidéo de huit heures en plan fixe réalisée par Warhol sur laquelle on tombe par hasard au MoMA, mais quand même.
N.B. : Le titre de cette bafouille fait référence à l'excellent (et autant expérimental qu'inclassable) album de Honkeyfinger : http://www.senscritique.com/album/Invocation_of_the_Demon_Other/5957269
[Avis brut #28]