La Chasse par Kroakkroqgar
S’il est un crime que la société actuelle n’aura de cesse de chasser, c’est bien la pédophilie. Pour tout dire, cette haine est plus féroce encore que l’animosité envers les meurtriers. Et cet ordre dans notre échelle morale des crimes vient en partie de la croyance commune selon laquelle les enfants sont des êtres vierges, que le monde adulte corrompt peu à peu. ‘Jagten’ se propose de nous prouver exactement l’inverse.
Parce que ce qui est à l’origine de la tragédie mise en scène, ce n’est pas le besoin pour une honnête communauté de trouver un bouc-émissaire, mais bien la supposée innocence de l’enfance. L’œuvre est même dans un sens très provocatrice, puisque c’est en réalité l’enfant qui éprouvera (momentanément) des sentiments pour l’adulte.
C’est justement le déroulement tout à fait logique du récit qui donne sa force à l’œuvre. La dispute des parents, le rejet de l’adulte, un mensonge sur le coup d’une colère infantile, et la machine démarre, sans que rien ne puisse plus l’arrêter. Klara ne peut plus revenir sur ses propos devant l’insistance des adultes qui l’interrogent, d’autant qu’elle souhaite retourner jouer dehors. De là, rien ne peut sauver Lucas, victime tout à fait innocente d’un malheureux concours de circonstances. La disproportion des évènements qui suivent est ensuite tout à fait logique, et on ne peut pas en vouloir au voisinage. Que le spectateur soit mis à la place de Lucas ne nous empêche pas, tout comme lui, de comprendre la réaction de ses anciens amis. Et comme son personnage principal, ‘Jagten’ nous laisse impuissant et meurtri.
A la clé de cette immersion dans la douleur, Mads Mikkelsen. Dans un rôle très éloigné de ces précédents métrages, l’acteur réalise une performance impeccable et formidable. On est ravi de le voir jouer comme un gamins avec les enfants dont il a la charge, on souffre de le voir mortifié par son rejet de la communauté : Mads Mikkelsen vit son personnage. Il parvient même à nous faire douter de sa culpabilité pendant un bref instant, mais le film ne joue heureusement pas à ce jeu là. A la limite, on pourrait trouver à redire de l’attitude très gauche de Lucas lorsqu’il fréquente Nadja, mais l’acteur est incroyable pendant tout le reste du récit. A ses côtés, la jeune actrice interprétant Klara est très juste dans son rôle, tandis que les personnages de Theo et Marcus sont aussi très intéressants.
Enfin, la réalisation est d’excellente qualité. Malgré la quiétude apparente de la ville danoise, l’œuvre est rythmé de bout en bout, et la tension est présente même avant l’élément perturbateur. Quant à la photographie, elle est sublime. La présence à l’écran de Mads Mikkelsen en est en partie responsable, mais on pensera aussi aux splendides plans forestiers. D’ailleurs, le final de l’œuvre est simplement génial.
Un chef d’œuvre poignant.