« Le cosmos est immense,ancien, éternel. Et les humains...tellement minuscules »
Cette formule énoncée à un moment résume parfaitement l'enjeu du film. Dès le générique, laissant émerger du noir par de légers éclaircissements des éléments décoratifs de temple bouddhique, le chromatisme est annoncé : le film sera principalement nocturne, et jouera constamment avec les contrastes du sombre et des lumières ténues.
« La cigogne en papier », bien que datant de 1935 est un film muet, sonorisé par une voix d'homme, un benshi, qui commente le film et lit les intertitres (pour un public largement analphabète) et affublé d'une musique occidentale classique ; cet ensemble alourdit le film, et il est préférable de se priver de son, afin d'apprécier toute la beauté de l' œuvre.
Une histoire tragique de geisha, « la fin misérable d'une beauté », thème de prédilection, dont Mizoguchi parlera jusqu'à la fin de sa carrière.
L'image du film, dès les premiers plans est d'une esthétique expressionniste superbe. Un orage violent se déchaîne et bloque la circulation d'une gare. Les éléments sont filmés avec force, des rideaux de pluie s'abattant sur le paysage aux feuilles mortes balayées par le vent. Les zooms et les plans latéraux s'enchaînent pour mieux exprimer la violence météorologique. Deux visages se détachent de cette foule agitée, tous deux immobiles, baignés de lumière : les deux personnages principaux. Le mouvement autour d'eux, permanent et confus, souligne leur état pensif. Puis la construction s'opère par flash-backs, d'abord brefs, puis prenant le temps de la quasi-totalité du film, narrant leur histoire. Entre deux plans fixes à la vaste profondeur de champ, impeccablement composés, à la manière des gravures japonaises, s'opposent des travellings rapides, ou alors la caméra vagabonde, très mobile, pour mieux nous égarer. Les espaces intérieurs sont filmés sous différents angles, leur conférant un côté labyrinthique, une toile d'araignée dont on ne sort pas. Il y a à plusieurs reprises des superpositions d'images, qui accentuent la confusion mentale de la geisha. La corruption entre les milieux proxénètes et religieux est explicite, les rapports de classe sont d'une violence et d'une cruauté inouïes. Une œuvre noire et désenchantée, terriblement lucide.