La cité des Femmes est comme tout le cinéma de Fellini une projection fantasmagorique de son monde et du monde vu aux travers ses yeux car il n'y a selon Fellini pas de frontière entre la réalité et l'imaginaire. Cela est particulièrement vrai dans la structure narrative du film qui est composé en séquences qui sont autant de fragments d'une fresque imaginée par le maestro et son alter égo à l'écran (Mastroianni). Il faut comprendre le mot fresque au sens d'une représentation d'abord (ici des 2 sexes) mais aussi comme un écoulement d'images et de scènes sans réel début ni fin (« only the infinite passion of life » comme dirait l'artiste lui même), le récit ayant une structure circulaire.
Chargé picturalement mais toujours brillamment mis en scène par des chorégraphies complexes et une caméra toujours en mouvement, à l'image de son héros qui déambule dans une orgie visuelle et sonore constante, chargé, le film l'est aussi en symbolisme, phallique (le train, la barre d'incendie, les piliers..) ou féminin (tunnels, antichambre et coquillage..). On retrouve le goût de l'artiste pour le baroque exacerbé, le maquillage outranciers et le monde du cirque, Fellini est un marionnettiste qui trimbale ses personnages de Charybde en Scylla (comme dans la Dolce vita, Casanova ou Satyricon), ici c'est Mastroianni qui traîne sa ganache de vieux don juan dépassé. Par une étonnante mise en abyme il observe en même temps que son personnage l'étrange congrès féministe, dont les aboyeuses sont caricaturées mais finalement prise en considération et c'est véritablement la femme qui est le sexe fort du film, tantôt hargneuse, tantôt douce, menthe religieuse, sal0pe, innocente, malicieuse ou maternelle, mais finalement insaisissable comme en témoigne l'escalade finale de Mastroianni vers la femme idéale.
On retrouve également les motifs récurrents de l'adultère, de la difficulté de communication, et de la figure du mâle italien, ici Grophallus, pathétique Don Juan aux attributs marqués et évidemment amoureux de sa mère. On se perds agréablement dans le film comme on se perds dans l'immense hôtel et dans le manoir venteux aux mille bougies. Dans le toboggan labial comme dans l'étroit couloir aux trophées, les vignettes s'allument et s'animent, le film est ainsi fait de clair-obscurs où les transitions habilement amenées au montage sont dissimulées par la brume propre à l'univers onirique du réalisateur. Fellini transgresse ainsi l'espace scénique en mettant en scène un espace mental en constante extension. Exploration onirique du continent noir, l'histoire de Snaporaz ne sera pas sans nous rappeler celle d'un héros de Schnitzler, qui inspirera aussi Kubrick (qui a assurément vu le film de Fellini).