Si dans la vie, je suis très cartésien, j'adore sitôt qu'il s'agit d'art les univers totalement oniriques et surréels, qu'il s'agisse en peinture du mouvement surréaliste, qu'il s'agisse d'expérimentations musicales ou dans le cinéma qui nous intéresse ici, les films dont je peux sortir de la projection sans avoir eu de certitudes cognitives sur ce qui m'a été proposé. Les films de Alejandro JODOROWSKY en étant des exemples parlant mais aussi des propositions plus sombres comme Tetsuo (1989), Mad God (2021) et évidemment le cinéma de David LYNCH qui n'a jamais caché l'influence qu'a eu sur lui ce film incroyable.
Il serait vain d'essayer de raconter le film tant il s'inscrit dans l'école picturale héritée de Jérôme Bosch, à la fois incompréhensible, empli de symboles ésotériques semblant venir d'une multitudes de cultures, hallucinée, surnaturelle, hypnotique, quelque chose de Lewis Carroll où la frontière entre rêve (cauchemar) et réalité est poreuse. Jozef se rend au sanatorium où son père vient de décéder, mais une fois sur place, le directeur lui explique que si son père est bien mort dans le monde de Jozef, dans l'espace temps du sanatorium il est encore en vie car ici le temps s'écoule différemment. Jozef ne comprend pas ce qu'essaie de lui dire cet étrange docteur et va donc explorer ce lieu.
Débute alors un récit qui filera des migraines aux spectateurs ayant besoin de rationalité et de lignes narratives concrètes mais qui vous emportera dans un univers baroque, fou et fascinant à condition de vous laisser prendre et guider. Oubliez tout ce que vous pensez savoir d'une forme de logique tangible.
Jozef en regardant à travers une fenêtre se voit à l'extérieur du même bâtiment revivre comme désincorporé son arrivée que nous spectateur avons déjà vécu. Plus tard précédé par un enfant il pénètre ce qu'il pense être un jardin d'hiver qui s'ouvre sur un aréopage de sages étudiant la cabbale, plus loin dans le film il se précipite sous une table et sort sur la place d'un village médiéval où conversent de la réalité des livres des oiseaux et des guerriers inspirés des figures précolombiennes.
L'on croise des femmes plantureuses incarnations du pêché originel, des mamans nourricières, des figures historiques figées dans leurs idées fixes, des automates et mannequins de cires symbolisant les actes manqués de ces mêmes portraits d'hommes dont notre monde se souvient surtout via les livres d'histoire, un contrôleur de train aveugle et omniscient et j'en passe.
L'ensemble complètement foutraque, sans aucun lien logique apparent, tout autant baroque que homérique, tout autant mystique que séculier, tout autant irisé et chatoyant que ténébreux et sibyllin donne une œuvre unique. Une œuvre tétanisante et fascinante, hypnotique et se jouant sur divers plans imbriqués les uns dans les autres ou comment avec plus de cinquante ans d'avance Wojciech HAS a non seulement inventé mais aussi posé les règles absolues du multivers où tous les possibles cohabitent.
Je ne doute pas de l'intention derrière une telle radicalité d'exprimer quelque chose de la société ou de l'histoire polonaise ou mondiale, mais je ne pense pas que ce soit essentiel à développer dans cette chronique. Pour moi c'est un film qui rentre immédiatement dans mon panthéon personnel et que je vous invite à découvrir rapidement si l'abandon le temps d'un film des vos reflexes cartésiens ne constitue pas un effort trop grand, je gage que vous serez emballé.