Dans ce western, comme dans The Naked Spur - l'Appat, chef d'oeuvre de Anthony Mann (1953), il y a un côté louche plus ou moins dominant dans chacun des quatre personnages masculins principaux, et c'est de la femme (ici réanimée in extremis après une agression subie dans une diligence, puis récupérant d'une cécité), jouée par Maria Schell, que viendra la rédemption, au moins pour ceux des hommes capables de s'en saisir.
C'est à la fin son geste d'amour, spectaculaire et bouleversant, qui sauve la vie et l'avenir du medecin qui la soigna, joué par Gary Cooper. Celui-ci est engagé dans son art médical mais bizarrement il est aussi un as du revolver. Et il est pétri d'un ressentiment indicible envers lui-même : dans son passé, un épisode de jalousie meurtrière a ruiné sa vie. Bien qu'il le cache parcequ'il en a honte, la trace en émerge malgré lui dans chacun de ses raptus violents, qu'ils soient verbaux ou physiques.
C’est une transaction, de l’or donné à la foule pour le protéger d'un lynchage, qui conclut le film. Elle est issue d’ un mouvement conjoint de deux personnages : elle est initiée par la femme puis elle est soutenue par le jeune voleur (qui était exploité par le médecin après qu'il l'ait guéri), joué par Ben Piazza. Et tant pis pour les autres personnages qui se laissent emporter par leur côté obscur, comme l'orpailleur Frenchy joué par Karl Malden.
Ce scénario de Wendell Mayes (scénariste de The Enemy Below , Torpilles sous l' Atlantique, et de Advise and Consent, Tempête à Washington, entre autres) incite à lire la nouvelle de Dorothy Johnson dont il est tiré. On n'est pas déçu : cette écrivaine émérite d'histoires de l'Ouest américain (Liberty Valance, A Man Called Horse, Un Homme Nommé Cheval) avait magnifiquement écrit ses personnages, leurs oscillations, leurs obscurités et leurs interactions dans ce milieu si adverse des prospecteurs.
Il est des films que vous revoyez de temps à autre et qui ne vous racontent plus la même histoire. C'est que vous avez changé entretemps, et certaines aspérités d'avant se sont émoussées tandis que sont devenus saillants des moments que vous trouviez avant creux ou plats.
Ce sont des films dont les émotions et les interactions se prêtent à des interprétations multiples. Peut-être est-ce valable pour tous les films mais en tout cas pas au même degré. Pour moi, celui-ci a dû changer 3 fois en trente ans, au point que je découvre maintenant un opus tout à fait inconnu.
Ce que je n'avais pas bien capté auparavant est un gradient interne en chaque personnage qui va du trouble à l'innocence, de la générosité à la perversité, de la violence à la douceur, de l'autoritarisme à l'attention aux autres, de l'avidité à l'indifférence, de la ténacité au découragement, un gradient qu'on voit évoluer en chacun d'eux.
Delmer Daves, à la suite de Dorothy Johnson sait l'exposer de manière crédible et attachante, tout en leur laissant leur part de mystère. Selon votre âge et selon votre disposition d'esprit, vous effacez spontanément ou non certains côtés de ces personnages, et de ce fait leur histoire se modifie, elle a une plasticité qui épouse les mouvements en vous, de votre immaturité à votre maturité (ou le contraire...).
Encore faut-il que les personnages du roman et du film aient, comme dans celui-ci, cette complexité, qui est celle de l'enchevêtrement des bois dont nous sommes faits.