Si les 6 heures du film peuvent un brin rebuter en premier abord, le film se montre très vite captivant. Et cela tient justement beaucoup à la forme : Watkins prend plusieurs partis pris aussi surprenants que pertinents. Premièrement, l'angle sous lequel il aborde le sujet : afin de pouvoir toucher au genre documentaire à une époque dont – ça vous étonnera peut-être – aucun enregistrement vidéo n'a été produit, Watkins décide de créer une télévision pour cette époque de la Commune, et va filmer son sujet comme un reportage sur une chaîne d'information créée par des communards – et qui s'opposera tout au long du film à la télévision versaillaise, qui diffuse des informations tronquées et éhontément orientées. Surprenant anachronisme donc qui nous permet pourtant d'aller au plus près du sujet en interviewant directement nos révolutionnaires, féministes, bourgeois, prêtres, élèves, soldats, etc en allant leur demander leur avis en plein cœur des mouvements contestataires. On y retrouvera une certaine ambiance des militants les plus convaincus qu'on voit passer à la télé, ou qu'on fréquente en manif' quand on y passe un peu de temps, on y retrouvera l'énergie désespérée de ceux qui n'ont rien à perdre et tout à gagner, et personnellement les scènes me feront tomber d'accord avec Bégaudeau qui estime que la politique est affaire de prime abord de sensibilité, et que la démocratie est affaire de dissensus.


Second parti pris : la longueur du film, qui est très loin d'être un problème. Le film est tellement à la fois vivant et didactique qu'il est difficile de s'ennuyer une seule seconde. Watkins s'érige ainsi contre ce qu'il appelle l'Horloge universelle, à savoir la standardisation des durées de films et de documentaires : dans sa durée même, le film est à l'usage de son sujet, contestataire. Je me suis fait la réflexion au passage que le temps long convient particulièrement bien à trois genres de cinéma : l'épique qui nous raconte de longues et grandes histoires s'inscrivant dans un contexte historique qui a souvent besoin d'être développée ; le documentaire qui a parfois besoin de s'étirer pour cerner plus précisément son sujet (et ce n'est pas Wiseman qui me contredira) ; et l'expérimental parce qu'il faut bien tenter des trucs. Coup de bol : La Commmune se rattache justement aux trois genres !


Troisième parti pris, et pas des moindres : l'organisation du tournage. Watkins n'a employé que des acteurs non professionnels, à qui il a attribué des rôles et demandé de se renseigner en profondeur sur les figures interprétées (ou sur les inspirations pour les quelques rôles fictifs). Puis, pendant le tournage, les acteurs et Watkins ont décidé de mener le film de manière démocratique : j'ignore très exactement en quoi a consisté cette démocratie mais toujours est-il que là aussi Watkins a tenu à faire en sorte que son (peut-on vraiment lui attribuer ce possessif du coup?) film soit à l'image du sujet traité.


Quatrième parti pris enfin, et qui découle des précédents : la casse permanente du 4ème mur. Régulièrement, les acteurs sortent de leur rôle, nous disent qu'ils interprètent tel personnage fictif ou non, explique ce qu'il ressent et d'où il vient. Dans la seconde partie du film, les acteurs expliquent comment ils s'investissent dans ce film, ce qu'ils retiennent de la Commune, comment leur participation à un projet d'une telle envergure leur fait réfléchir dans leurs engagements politiques, dans leurs réflexions démocratiques. Très souvent, la frontière entre insurrection communarde devient très floue, et Watkins fait parfois des parallèles directs avec notre époque, ou bien établit une critique acerbe des médias – qu'il appliquera d'ailleurs avec la même rigueur à ses chaînes de télé fictive, même à la communarde.


Bref. C'est un film absolument passionnant, non seulement pour le sujet qu'il traite mais aussi pour sa forme … Révolutionnaire ? Au moins contestataire. À noter que si Arte a été la seule chaîne de télévision à bien vouloir investir de l'argent là-dedans, le projet a tout de même fini par leur faire peur puisqu'ils ont essayé de revenir maintes fois par chantage ou omission sur les décisions de Watkins contre ce qu'il appelait la monoforme. Finalement, le film sera diffusé entre 23h et 5h du matin pendant la nuit, le réduisant à une faible audience, et ne sortira au cinéma que 7 ans plus tard dans une version amputée d'environ deux heures. Triste destin pour le film donc, qui mérite parfaitement d'être vu dans ses six heures, car honnêtement, je vois mal quels passages il serait pertinent de couper : tous sont essentiels. Aujourd'hui encore assez peu vu, je vous le recommande extrêmement chaudement. C'est un film d'une immense importance, et parmi ce que j'ai vu de mieux cette année.

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le 1 juin 2021

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Heobar

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