La complainte du sentier marque la naissance de l’un des plus grands réalisateurs de son époque. L’accouchement fut passablement long puisqu’il a fallu trois ans à Satyajit Ray pour compléter le tournage et le montage de son premier long-métrage. Mais disons que le bébé se portait très bien à sa sortie. Le film est à l’image de l’œuvre entière du cinéaste, c’est-à-dire d’une authenticité déconcertante duquel se dégage une grande poésie humaine. En guise de botté d’envoi, Ray est parti de l’adaptation d’un roman bengali à travers lequel il semble s’être jusqu’à un certain point reconnu puisqu’il s’agit du regard d’un jeune garçon sur le monde qui l’entoure. Âgé d’une dizaine d’années, Apu est à la fois témoin et victime de la vie miséreuse de sa famille. Il assiste à l’inertie d’un père plutôt oisif et au courage d’une mère qui voit au bien-être des siens sans demi-mesure. La mort de sa grande sœur Dugar sera déterminante, comme on le verra dans les deux volets subséquents de la trilogie, dans sa volonté de se sortir de sa condition de démuni. La caméra de Subatra Mitra s’immisce dans le quotidien des personnages avec discrétion et intelligence. Les acteurs, supposément amateurs, vivent leur situation sans trop se préoccuper de la mise en scène ce qui explique peut-être toute la vérité qui se lit dans leur regard et qui transperce l’écran. C’est cette capacité à filmer l’âme de ses personnages à travers leur quotidien qui rend le cinéma de Satyajit Ray si unique. Savoir donner de la dimension à travers le réalisme est du grand art.