Jamais deux sans trois, après les excellentes surprises Tu mérites un amour et Bonne Mère qui réussissaient à impliquer le spectateur dans de beaux moments de vie entre humour et coups durs à travers des personnages attachants, Hafsia Herzi signe son retour sur Arte pour un téléfilm qui lui a valu le prix de la réalisation au Festival de la fiction de La Rochelle. La Cour avait de quoi inquiéter avec son synopsis peu attractif annonçant une potentielle bonne dose de féminisme plus ou moins subtil et sa sortie à la télé enlevant la part d'événement que peut offrir la salle pour ajouter le sentiment qu'on sera sur un résultat moins grandiose. Force est de constater que j'ai eu tort pour la troisième fois, la cinéaste a une fois de plus démontré son talent dans une œuvre pleine de sentiments.
Herzi nous embarque dans son récit moins réaliste que les précédents mais tout aussi touchant. Le pitch fait seulement office d'élément déclencheur et s'efface peu à peu au profit d'une étude sociologique de cette cour de récréation nettement plus intéressante que cette intrigue d'espace de jeu inégal. Les enjeux gagnent en importance et on finit par se rendre compte que la réalisatrice voulait prôner le vivre-ensemble plus que l'opposition hommes-femmes. Ce message final correspond plus à l'artiste qui nous a offert des passages touchants entre personnages qui s'aiment dans ses deux premières réussites. Cela se vérifie quand elle montre des signes de faiblesse lors des séquences s'attardant sur la mauvaise répartition de la cour qui manquent parfois de nuances ou de subtilité.
Cette classe de CM2 composée de profils variés va ainsi devoir apprendre à bien s'entendre, à se respecter tandis que l'arrivée d'une nouvelle est source de conflits (l'instituteur précise en plus que ce n'est pas la première fois qu'un tel événement se produit). C'est dans ce climat froid et hostile que nous commençons à suivre l'évolution d'Anya, de retour en France après avoir passé deux ans en Australie. Une évolution qui sera marquée par le harcèlement, l'amitié et l'amour. Les bons sentiments de Herzi ressortent donc de sa protagoniste qui veut s'imposer comme l'esprit fédérateur ayant ses propres faiblesses. Rapidement attachante, elle a un développement entièrement basé sur cette idée de vivre-ensemble : ses objectifs sont successivement s’intégrer, se faire des amis, rallier le reste de la cour à sa cause et conquérir le cœur de Nathan. La relation amoureuse qui se développe est simplement touchante et permet d'enrichir les questions sociologiques à propos de l'influence ou la pression du groupe. Elle jouit également de la mise en scène efficace : les deux personnages sont souvent sur-cadrés au début, ce qui représente alors leur mise à l'écart et finissent par se rejoindre au fil d'un panoramique se focalisant sur l'un puis sur l'autre.
Les questions sociales sont au centre de l'écriture des personnages (enfants) secondaires qui ont pour beaucoup pour objectif de rester dans leur groupe. La metteuse en scène présente des enfants qui se découvrent, qui se cherchent encore et l'atmosphère néfaste les empêche de devenir eux-mêmes. C'est écrit dans le synopsis : "La guerre des sexes va prendre une tournure dangereuse". La fin qui n'est peut-être pas si heureuse qu'on veut nous le faire croire car le climax reste sur une absence d'alliance nous fait prendre conscience des conséquences de cette bataille : la situation n'a pas changé, cette ambiance négative devient invivable pour Anya à tel point qu'elle fugue. Tout va bien pour les personnages lorsqu'ils s'entraident, qu'ils s'acceptent ou qu'ils se rendent compte que leur disparition en inquiète plus d'un. On dirait que la vie est toute rose certes mais nous avons besoin des fois de voir des films optimistes qui nous rappellent qu'il est possible de vivre ensemble.
Les personnages adultes sont plus anecdotiques dans la construction de cette intrigue enfantine et sont réduits à des side-kicks voire apportent des soucis supplémentaires. Ce qui pourrait être un défaut s'avère être un triste constat avec le rôle insignifiant que semblent jouer ces figures dans la lutte contre les problèmes auxquels les enfants font face. Il n'empêche que Djanis Bouzyani, déjà vraiment drôle dans Tu mérites un amour, arrache plusieurs sourires et fait rire dans la peau de ce surveillant bavard qui dépasse légèrement les limites. L'instituteur incarné par Ludovic Berthillot, cousin de mon père, est en toute objectivité un immense acteur. Blague à part, les enfants sont tous irréprochables et promis à un bel avenir s'ils continuent dans cette voie.
La réalisation a offert un prix à la cinéaste et elle ne déçoit effectivement pas. Les couleurs éclatantes sont très jolies et s'amusent souvent à opposer le bleu et le rose. Les gros plans qui étaient déjà un point fort des précédentes créations le sont ici également, nous sommes au plus proche des personnages, nous sommes avec eux, nous les accompagnons dans leurs épreuves. Herzi s'autorise quelques folies avec l'aspect plus fictionnel telles que ce climax dans les couloirs en mode commando aidé par un vert qui rappelle la vision nocturne. La mise en scène grossit les traits afin de transmettre le message, en témoigne ce guet-apens pour soutirer une information. Elle atteste surtout d'une certaine maîtrise de la réalisatrice qui s'illustre dans plusieurs tonalités. D'un côté, l'humour fait souvent mouche grâce à sa façon d'écrire des dialogues naturels, qui sortent du cœur et sa capacité à caractériser des personnages dès les premières minutes. D'un autre côté, les séquences dramatiques suscitent aisément l'émotion grâce à la caméra qui capte celle des personnages par l'intermédiaire de sur-cadrages qui provoquent l'empathie ou les très gros plans qui nous prennent par les sentiments.
La Cour est donc un téléfilm qui aurait mérité une sortie en salles. Le scénario qui cachait bien son jeu s'est révélé plus profond et plus passionnant qu'attendu. Énième démonstration du talent de Hafsia Herzi qui devient une valeur sûre de notre cinéma national, cette ode au vivre-ensemble a réussi à me donner tort en passant de la comédie au drame avec une habileté certaine et en soignant l'écriture de ses personnages tous plus attachants les uns que les autres (excepté Enzo). Il paraît clair que le doute n'est plus permis concernant cette chère Herzi qui à trois reprises m'a convaincu en partant de loin.