Une comédie plaisante taillée sur mesure pour deux acteurs vedettes des années 60, Bourvil et Fernandel.
Bien entendu, Gilles Grangier va bâtir son film sur l'opposition Sud et Nord en utilisant tous les stéréotypes possibles. Le provençal rigolard, grande gueule, un peu canaille, difficile à mettre au travail et dont la sieste est le moment le plus actif de la journée face au normand, sérieux, rigoureux, travailleur, soucieux du détail et honnête, limite couillon. Là, en plus Gilles Grangier va accentuer la comparaison en opposant la cuisine méridionale – à l'huile – à la cuisine normande - au beurre.
En effet, tout tourne autour d'un restaurant à Martigues (dans le quartier de l'île de la Venise provençale …) qui était, avant-guerre, un bistrot typique provençal avec pieds paquets et bouillabaisse (en boite …) mais surtout un bar bruyant où les copains se retrouvent avant la partie de pétanque et où le pastis se sert en alignant les verres à touche-touche pour éviter d'avoir à relever le goulot de la bouteille. Devant l'absence du cuisinier, prisonnier de guerre puis porté disparu et mort, le bistrot, sous l'impulsion de l'épouse qui se remarie, se transforme en restaurant huppé "la sole normande".
Là où l'intrigue se corse (un peu), c'est que le "porté disparu" n'est pas si disparu que ça et revient après une bonne dizaine d'années pour retrouver son bistrot, ses copains et sa femme. Nous voilà bien en plein pastis. On a ainsi tous les ingrédients pour que la comédie puisse fonctionner.
Et la comédie fonctionne bien avec humour, quelques rebondissements et quelques scènes drôles – un peu caricaturales – un peu cliché - sans pour autant tomber dans le burlesque ni dans le vulgaire. On rigole parfois, on sourit souvent.
Il est clair que le film repose complètement sur les deux acteurs qui cabotinent gentiment dans leurs rôles. Simplement, l'exubérant Fernandel va tant et si bien faire qu'il va dessaler le gentil travailleur Bourvil au grand dam de l'épouse (qui se retrouve bigame). Justement cette dernière, Cricri pour l'un, Christiane pour l'autre (je laisse deviner qui), c'est une superbe Claire Maurier, dotée d'un bel accent du midi, qui ne s'en laisse pas compter par ses deux maris, l'un "mort administratif" et l'autre "putatif".
D'un point de vue mise en scène, Gilles Grangier connait bien son métier et rend son film attrayant. Même si le panneau "Rouen 30 km" dans un village censé être dans la Manche m'a paru un tantinet suspect.
Une scène particulièrement réussie est celle où Fernandel raconte son odyssée en Sibérie, démentie par les images muettes que Grangier nous glisse en même temps : "l'encre gelait".
Pour finir, c'est une bonne petite comédie efficace, que j'aime bien voir de temps à autre, un peu courte toutefois (80 minutes). Grangier récidivera l'année suivante en opposant un provençal toujours joué par Fernandel à un parisien, cette fois joué par Jean Gabin, dans "l'âge ingrat"