Dans son somptueux manoir, le vieux Charles Richmond exerce son autorité et son pouvoir de manière odieuse, raciste, et cruelle, témoignant d’un irrespect total à l’égard de l’humain. Ereinté par le comportement du vieil homme, son neveu Anthony Richmond engage Maria comme infirmière afin de mettre en place une vaste machination : épouser son oncle et se partager ensemble l’héritage de sa fortune après sa mort.
Combat des classes
Grande Bretagne années 1960, le vieux Charles parcourt son large domaine en parfait tyran. En tant qu’homme d’affaire pointilleux il gère en leader son entreprise prenant toutes les décisions tel son bon plaisir, mais en laissant toujours son neveu se charger des tâches fastidieuses. Malgré l’implication d’Anthony pour satisfaire son oncle, il lui est impossible d’acquérir une forme de reconnaissance et de respect. On constate donc qu’Anthony est à son niveau l’esclave élégant de son oncle. Manucuré régulièrement, belle coiffure, beau costume, séducteur, mais toujours coincé dans le rôle du larbin qui doit s’abaisser à toutes les volontés et les caprices d’un homme sans cœur. Évidemment, Charles Richmond n’exerce pas uniquement son emprise sur son neveu, le petit personnel en fait aussi les frais et de manière encore plus odieuse. En effet, l’oncle est aussi profondément raciste envers ses deux serviteurs noirs, les traitant comme ses chiens et traitant ses chiens comme des serviteurs. Dans le cas de la nouvelle infirmière Maria, elle apprend aussi rapidement en compagnie de Charles à quel point le comportement du vieil homme est sordide envers elle. D’abord parce qu’elle est une femme, puis pour sa place dans le classement de l’échelle sociale. La seule divergence notable concernant Maria est qu’elle correspond au seul personnage doué de sensibilité et de remords. Elle demeure certes coupable en se lançant ouvertement dans une vaste machination pour obtenir l’héritage du riche vieil homme, mais elle est aussi paradoxalement capable de transmettre des sentiments humains à l’égard de Charles pour atténuer sa méchanceté et le rendre heureux pour les derniers instants de sa vie.
Le cœur du récit correspond alors à une satire des différentes classes sociales et la manière dont les rapports de domination se conçoivent et perdurent, le tout en accentuant la frustration propre à chaque membre du trio de l’histoire. De nombreux plans dépeignent la qualité de vie entre le manoir et le logement très modeste de Maria. Elle est une infirmière qui fait son métier avec passion et humanisme, ne souhaitant qu’améliorer la santé des autres mais vivant dans la misère là où Charles le tyran vit dans le luxe. Charles est un homme accompli, immensément riche, mais son handicap le frustre au quotidien tandis que sa colère perpétuelle le rend détestable par tous. Anthony quant à lui incarne l’homme qui veut toujours davantage par pure jalousie. Il envie follement le manoir et la fortune de son oncle, las d’être un larbin en costume bon marché. Évidemment, le film ne bascule jamais vers une dimension politisée et conserve sa place sans jamais déborder afin de nous conter finalement l’histoire de trois personnages inhumains à leur manière. Le but ultime étant de nous amener progressivement et lentement vers la nécessité du crime pour soigner les frustrations de deux de ces personnages.
La main invisible
Malgré un bon sujet traité ouvertement à la Hitchcock dans son déroulement, ses révélations, et sa finalité, la réussite du film réside dans l’interprétation que nous élaborons sur le trio et des aspects que les personnages incarnent respectivement dans la société.
L’infirmière Maria ressemble à une jolie poupée sensuelle, mais au-delà de son charme naturel elle est aussi une femme comme une autre qui peine à joindre les deux bouts dans la vie. Souvent désespérée par le monde qui l’entoure, elle le devient encore davantage auprès d’un être infâme comme Charles. Cette condition provoque chez elle un tiraillement intérieur. En effet, à l’égard de Charles elle bascule facilement de la colère à l’adoucissement. Une colère rouge parce que l’homme est détestable pour ses paroles et ses actes, mais aussi une certaine tendresse car elle ne peut pas s’empêcher de ressentir une profonde tristesse pour les faiblesses dissimulées de Charles. Dans le cas d’Anthony, il manifeste une sourde colère difficile à contenir contre son oncle. Une haine qu’il dissimule comme il peut derrière son aspect charmeur envers les femmes et moqueur envers son oncle, tout en concrétisant toute sa cruauté dans l’élaboration de son plan pour obtenir l’héritage. Pour finir, Charles représente une critique envers le comportement britannique souvent décrié. Il s’agit des comportements de noblesse des riches assez discutés qui se fondent sur un rabaissement des classes inférieures. L’obligation de servitude des classes pauvres comme aux temps des rois et des princes. L’argent semblant être le seul élément important d’une vie, une image que souhaite renvoyer le film en y décrivant toutes les obsessions qui tournent autour de lui telle une emprise invisible.
Conclusion
Œuvre volontairement inspirée des procédés d’Hitchcock, La femme de paille a les allures d’un film policier classique. Cependant, une dimension nouvelle est rapidement amenée afin de traiter la manière dont les dominations se conçoivent et perdurent en fonction de la classe sociale. Le tout en narrant l’obsession de l’argent comme une sorte de main invisible capable de gouverner tous les esprits au détriment de la morale.